•             Guillaume et Thomas se trouvaient dans l’une des loges du théâtre en attendant le début de la représentation. Thomas s’inquiétait pour son ami qui n’avait pas dit un mot depuis son arrivée dans l’après-midi. Le pauvre homme était complètement abattu. Il attendait que quelqu’un le sorte de sa torpeur en lui apprenant l’identité de celui qui avait survécu à Hatori Honda. Mais cette annonce, qui déterminerait son attitude des prochains jours, voire des prochains mois, ne semblait pas vouloir venir. Lorsqu’il saurait enfin qui était revenu en vie de Corée, soit Guillaume plongerait dans le désespoir le plus total, soit il revivrait. Mais à ce bonheur il ne voulait pas penser, craignant un nouvel espoir déçu.

                Silencieux, Thomas ne savait plus quoi faire. Il comprenait très bien la détresse de son camarade mais ne savait que faire pour l’apaiser. C'était bien la première fois que cela arrivait : il avait toujours été un soutien pour Guillaume que ce soit lorsque sa première petite copine l'avait jeté comme une vieille chaussette ou bien toutes les fois où, au début de sa carrière d'intermittent du spectacle, il avait dû emménager dans un appartement plus petit, faute de pouvoir payer le loyer. Ensemble, ils avaient survécu à toutes les galères, mais la situation n'avait jamais été aussi critique. Thomas s’était donc résolu à attendre, lui aussi, que faire d'autre ? Il avait allumé la télévision et guettait le début du journal de vingt heures dans lequel le nom du survivant serait peut-être révélé.

                Debout de l’autre côté de la porte close de la loge, Yannick Sana fulminait. Ses deux acteurs étaient scotchés devant le téléviseur et rien ne semblait les décider à monter sur les planches. S’ils refusaient de jouer la pièce ce soir c’était très mauvais pour la carrière de tous ceux qui travaillait avec eux, très mauvais. Il ne comprenait pas les raisons qui poussaient Avignant à rester dans cet état végétatif, lui qui était toujours si vif et dynamique, qui poussait toujours les autres vers le haut quand leur moral était au plus bas. Personne ne parvenait à le tirer de sa chaise, pas même Thomas qui le connaissait depuis toujours.

                -Quand vont-ils se décider à sortir de là ? lui demanda soudain Joséphine Blanchard, l’une des actrices qui jouaient dans la pièce avec Avignant et Robson, en passant près de lui.

                -C’est une excellente question, soupira Yannick. Dans vingt minutes, je défonce la porte.

                Pensant qu’il plaisantait, la jeune femme s’efforça de sourire bien qu’elle ne trouvât pas cela très drôle, mais Yannick était sérieux. Les spectateurs arrivaient et il était de plus en plus inquiet.

                De l’autre côté de la porte, une musique angoissante retentit : celle qui annonçait le journal télévisé. Thomas avait cessé de respirer, attendant l’énoncée des reportages qui allait suivre. Guillaume lui entendait la télévision plus qu’il ne l’écoutait. Le jeune présentateur prit la parole :

                -Madame, monsieur, bonsoir. A la une de l’actualité de ce 15 avril la réforme des retraites ne fait pas l’unanimité. Des centaines de personnes sont descendues aujourd’hui dans les rues de Paris pour manifester. L’incendie qui ravage les forêts du Var a causé la mort de deux personnes car une habitation n’avait pas était évacuée à temps. Le médecin en chef de l’hôpital de Vladivostok, en Russie, a confirmé aujourd’hui l’identité du seul survivant de l’opération « Hatori Honda ». Il s’agit d’une journaliste française, Agathe Rousseau, âgée de vingt-quatre ans. Le ministre des affaires étrangères en visite aux Etats-Unis…

                Silence dans la petite loge. Thomas se tourna vers son ami, un large sourire aux lèvres. A la mention d’Agathe par le téléviseur, des tremblements avaient sorti Guillaume de sa torpeur. Il dévisagea Thomas, n’osant comprendre. Avec un air interrogatif, il pointa un doigt vers l’écran. Robson hocha vigoureusement la tête et confirma d’une voix joyeuse :

                -Elle est vivante.

                Les épaules de Guillaume s’affaissèrent, comme si toute la tension des derniers jours retombait d’un seul coup. Il prit son visage entre ses mains et pleura de soulagement. Il ramena ensuite ses poings fermés sur son front, découvrant ses joues humides de larmes tandis qu’il riait. Thomas s’était approché de lui et ils s’étreignirent dans un geste fraternel.

                -C’était bien la peine de te mettre dans un tel état, plaisanta Robson en s’écartant.

                -Elle est vivante, répéta Guillaume. Vivante !

                -Oui, je sais, ils viennent de leur dire à la télé.

                -Très drôle, sourit Guillaume. Vivante, elle est vivante et elle va rentrer !

                -Il y a intérêt car toi, tu ne vis que pour elle, se moqua Thomas.

                Guillaume frappa amicalement l’épaule de Robson en guise de représailles. La porte de la loge s’ouvrit soudain dans un grand fracas. Surpris, les deux camarades se tournèrent vers celui qui venait de la défoncer d’un coup de pied.

                -Yannick ? s’étonna Robson. Ce n’était pas fermé à clef.

                -C’est donc pour cela qu’elle ne m’a pas résistée longtemps, répondit le metteur en scène, pensif. Tiens, Guillaume, tu t’es décollé de ta chaise ?

                -Je n’étais pas collé, j’étais juste assis, répondit le comédien avec sérieux.

                Dubitatif, Yannick ne répliqua pas. Il fronça les sourcils en apercevant les yeux rougis d’Avignant. Avait-il pleuré ?

                -Que s’est-il passé pour que tu te décides enfin à te lever ? demanda Sana.

                -Je t’expliquerais. En attendant, nous avons une représentation à jouer dans quinze minutes, estima-t-il en consultant sa montre. Et si nous allions nous préparer ?

                Thomas approuva d’un mouvement de tête et suivit Guillaume à l’extérieur de la loge sous le regard ahuri de Yannick qui leur emboîta finalement le pas.


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  •             Agathe se laissa lourdement tomber sur l’un des sièges de l’avion en soupirant :

                -J’ignorais qu’il était aussi difficile de marcher avec une béquille.

                -Vous inquiétez pas, c’est pas pour une longue période, répondit Olga en saisissant le bâton métallique afin de le ranger au-dessus des fauteuils.

                -Combien de points de suture m’a-t-on fait sur la cuisse, au fait ? demanda Agathe.

                -Vingt-deux. Je sais pas comment vous avez fait pour avec une telle coupure jusqu’à votre ami mourant vous déplacer.

                -Je pense que la plaie a dû s’agrandir à cause de mes mouvements, elle devait être moins importante au début. Dites-moi, si j’ai bien compris, l’avion va faire plusieurs escales avant d’arriver à Paris.

                -Oui. D’abord à Moscou, pour le corps du Russe y déposer. Je descendrais aussi là-bas. Ensuite, Berlin, pour le corps de l’Allemande y laisser. Puis Paris. Londres, pour l’Anglais. Et enfin, Washington pour l’Américain.

                -Michael ? s’étonna Agathe. Son cadavre était dans un fleuve. Vous l’avez retrouvé ?

                -Grâce à vos indications sur le magnétophone, les Coréens l’ont trouvé et en Russie l’on fait venir. Sa famille pourra l’enterrer.

                -Tant mieux.

                Ces deux mots conclurent leur discussion. Les Russes avaient rendu à Agathe ses affaires personnelles que les Coréens avaient trouvées près du corps de Lyov, à l’exception du magnétophone, qui devait servir à l’OTAN pour comprendre comment l’intervention s’était déroulée. Ils avaient aussi fait savoir à la jeune femme qu’elle serait probablement contactée par les autorités françaises afin de connaître plus en détails sa version des faits qu’elle avait déjà donné aux enquêteurs américains.

                La journaliste rangea son nouveau passeport dans son sac. En France, une carte d’identité ainsi qu’un nouveau numéro de sécurité sociale lui seraient attribués. Elle allait pouvoir continuer son ancienne vie comme si rien ne s’était passé. Du moins, c’est ce qu’elle espérait mais elle savait que rien ne serait jamais plus comme avant. Avec ses proches d’abord. Elle craignait qu’ils lui en veuillent de ne pas les avoir prévenus de son départ en Corée, malgré les avertissements du président. Elle craignait aussi qu’ils ne la voient plus comme avant. Déjà qu’elle-même avait du mal à se reconnaître dans un miroir. Non pas qu’elle est physiquement changée, mais intérieurement, elle n’était plus tout à fait la même. D’abord parce qu’elle avait connu la peur, la vraie. Celle qui étreint sa victime et ne la lâche pas lorsque le danger est passé. Ensuite, parce qu’elle avait tutoyer la mort. Celle-ci ne l’avait pas emportée, mais s’était arrangée pour qu’elle voie mourir ses amis. Enfin parce que la souffrance qu’elle avait lu sur les visages des trois prisonniers la hanterait à jamais.

                Elle déglutit péniblement. L’avion décollait. Elle s’efforça de penser à autre chose. Guillaume. C’est le premier nom qui lui vint à l’esprit alors qu’elle cherchait à se distraire en vain de ses préoccupations. Guillaume était le seul, qui, elle en était certaine, l’accueillerait avec joie à son arrivée, le seul qui n’avait aucune raison de lui reprocher son départ. Elle se demanda s’il viendrait l’attendre à l’aéroport. Elle laissa échapper un sourire compatissant à l’égard du comédien. Le pauvre homme avait dû passer les dix derniers jours à se tourmenter. Il était le seul à savoir qu’Agathe était partie en Corée du Nord et par conséquent, seul lui avait dû se faire énormément de souci pour la jeune femme. Elle regretta de l’avoir mis dans un tel état d’angoisse mais elle ignorait encore que c’était grâce à lui qu’elle pouvait à présent rentrer en France.

                Elle se demanda ensuite comment sa relation avec lui allait évoluer. Ce qui était certain, c'est que cela ne pouvait pas se passer aussi mal qu'avec Fabien. Fabien, c’était son ex-petit ami. A l’époque, il travaillait pour le même hebdomadaire français que la jeune femme. Il était photographe. Guillaume l’avait rencontré, il y a un mois de cela.

                C’était au bois de Boulogne, par un après-midi de début de printemps. Il faisait aussi chaud qu’en plein été alors ils avaient décidé d’aller se promener autour des lacs du grand parc, emmenant avec eux Chantilly qui en avait profité pour sauter dans l’eau à plusieurs reprises.

                -Cela faisait bien longtemps que je n’étais pas venu ici, lui apprit Guillaume.

                -Tu ne viens jamais ? Même un dimanche comme aujourd’hui ? s’étonna Agathe.

                -Non, même le dimanche. Mais là, c’est différent. Tu es avec moi.

                Agathe se contenta de sourire à la remarque de son ami. Elle observa le caniche qui courait devant eux pour faire sécher ses longs poils frisés qui dégoulinaient encore. C’était la première fois que Guillaume et elle se rendaient ensemble dans un lieu public aussi fréquenté. Le comédien avait posé un élégant chapeau noir et bleu sur sa tête et portait des lunettes de soleil. Aucun des promeneurs qu’ils avaient croisés ne semblait l’avoir reconnu et ce pour le plus grand bonheur d’Agathe qui craignait d’être vue en compagnie du célèbre acteur. Elle ne savait pas trop pourquoi d'ailleurs. Elle se disait que ce qu'ils vivaient n'appartiendrait qu'à eux tant qu'ils ne se retrouvaient pas à la Une de la presse people et c'était bien ainsi, ils pouvaient prendre leur temps. Au détour d’un lac, ils s’aperçurent que de lourds nuages commençaient à jeter leur ombre sur le bois de Boulogne et que l’air commençait à fraîchir.

                -Il risque d'y avoir un orage, observa la journaliste. Nous ferions peut-être mieux de rentrer.

                -Tu as raison. Chantilly ! appela Guillaume en effectuant lentement un tour sur lui-même. Chantilly ! Où est passé ce chien ?

                Agathe regarda autour d’elle mais elle ne voyait nulle part le pelage blanc de l’animal.

                -Elle a peut-être continué à avancer. Séparons-nous. Suis le chemin qui longe le lac, je vais voir entre les arbres.

                -D’accord.

                Agathe quitta le sentier et s’éloigna en direction des buissons. Chantilly pouvait être absolument n’importe où. La jeune femme écarta les feuillages d’une main pour tenter de repérer le chien mais il n’était pas là. Elle avança encore entre les arbres.

                -Chantilly ! Où es-tu ma belle ?

                Mais le caniche restait introuvable. Après quelques minutes de recherches infructueuses, Agathe allait faire demi-tour lorsqu’elle entendit des aboiements. Elle se dirigea vers eux, consciente que ce n’était pas forcément le chien de Guillaume. Il lui sembla qu’il y avait plusieurs canidés à proximité. Les aboiements se rapprochaient. Soudain, un teckel bondit hors d’un bosquet en couinant. Agathe sauta sur le côté et évita de justesse le petit chien qui s’enfuyait. Elle perçut le bruit d’un autre chien qui venait vers elle. Pas de doute, c’était bien lui qui effrayait la pauvre bête. Agathe se pencha en avant au-dessus du buisson, dans l’intention de réceptionner le poursuivant. Une boule de poil émergea alors des feuillages. Agathe referma bien vite ses bras sur l’animal trempé. Celui-ci se débattit jusqu’à ce que la journaliste le reconnaisse.

                -Chantilly ! s’exclama-t-elle. Tu vas te calmer, maintenant ?

                En entendant son nom, le caniche s’immobilisa. Agathe se releva mais ne le relâcha pas pour autant. L’autre chien avait stoppé sa course un peu plus loin et observait avec curiosité son adversaire à la mine déconfite.

                -Déçue ? plaisanta Agathe en tapotant affectueusement le museau de Chantilly. Tant pis, tu ne mangeras pas du teckel aujourd’hui.

                -Manger ? s’effraya une voix essoufflée de l’autre côté du buisson. Vous voulez dire que ce chien enragé allait manger ma pauvre Mimine ?

                La journaliste se tourna vers la vieille dame qui venait de parler. Elle tenait à la main une laisse rose, assortie au collier que portait le petit chien roux.

                -Bien sûr que non, la rassura-t-elle. C’était de l’humour. Vraiment désolée pour le dérangement.

                -Vous devriez faire piquer ce monstre, grogna la vieille dame en fusillant le caniche du regard. Allez viens, Mimine, ne restons pas là. Je ne vous salue pas, mademoiselle.

                -Comme vous voudrez, s’amusa Agathe en s’éloignant avec Chantilly.

                Elle attendit d’être de retour sur le sentier pour poser le chien sur le sol. Elle partit alors dans la direction qu’avait prise Guillaume, l’animal sur ses talons. Elle ne tarda pas à l’apercevoir. L’acteur était en train de signer des autographes à un groupe de jeunes gens qui parlaient tous en même temps.

                -Ton maître à l’air occupé, lança-t-elle au chien. Laissons-le tranquille.

                Mais Chantilly avait déjà bondi vers le comédien et écrasé ses pattes pleines de boue sur son pantalon. Surpris, Guillaume se retourna et vit Agathe. D’un signe de la main, elle lui fit comprendre qu’elle allait l’attendre plus loin. Il accepta d’un sourire puis pivota à nouveau pour faire face au petit groupe qui, attendri par les grands yeux noirs du chien encore trempé par ses plongeons dans le lac, n’avait rien remarqué de l’échange silencieux de l’acteur et de la journaliste.

                Cette dernière se dirigea vers un banc et s’assit face à l’étendue d’eau. Elle aimait observer le ciel se refléter dans le lac mais les nuages qui avaient continué à l’assombrir gâchaient un peu le spectacle. Son attention se reporta alors sur les feuilles des arbres qui se paraît de jolis éclats vert clair sous les derniers rayons du soleil. Celui-ci disparaissait lentement derrière le voile grisâtre qui recouvrait peu à peu le ciel. Près d’elle, un couple de canards se posa sur le lac. Elle les regarda avancer ensemble. Les sillons qu’ils laissaient dans l’eau derrière eux se croisaient à plusieurs reprises. Les oiseaux se déplaçaient de manière aléatoire mais se rejoignaient toujours, se donnant en spectacle avec toute la grâce et la légèreté dont ils étaient capables.

                -Souriez, vous êtes filmée ! signala soudain une voix derrière Agathe, la faisant sursauter.

                Elle fit volte-face et se retrouva nez à nez avec l’objectif d’un appareil photo. Par réflexe, elle tendit la main vers l’appareil et l’écarta d’un mouvement rapide. C’est alors qu’elle découvrit celui qui se cachait derrière.

                -Fabien, s’écria-t-elle. Peut-on savoir ce que tu fais là ?

                -C’est évident, répliqua-t-il en haussant les épaules. Je fais quelques clichés du parc pour tester mon nouvel outil de travail. J’en profite aussi pour photographier les jolies filles.

                Il pointa à nouveau son objectif vers la jeune femme et appuya sur le bouton déclencheur avant qu’elle n’ait pu l’écarter.

                -Fabien, arrête ça tout de suite, s’énerva Agathe en se levant.

                -Tu n’as toujours pas d’humour, toi, remarqua-t-il. J’ignorais que tu aimais te promener par ici.

                -J’ai droit à une vie privée, figure-toi. A présent, si tu veux bien que je m’en aille.

                Elle voulut s’éloigner mais il la retint par le bras, la forçant à se tourner vers lui. Agathe avait toujours été étonnée par la force presque surhumaine du photographe.

                -Lâche-moi, tu me fais mal, s’indigna-t-elle en tentant de se dégager.

                -Tu as repensé à nous ? la questionna-t-il. Il serait peut-être temps de se remettre ensemble.

                -C’était il y a deux ans. Maintenant laisse-moi, je n’ai pas de temps à perdre avec toi.

                -Attends, tu ne veux pas discuter un peu ? insista-t-il en voulant l’attirer contre lui.

                Mais une main se ferma autour de son poignet et le contraignit à lâcher prise.

                -Elle t’a dit de la laisser tranquille, il faut te le dire dans quelle langue ?

                La phrase fut ponctuée d’un grognement canin furieux. Agathe s’était éloignée d’un pas et regardait à présent Guillaume et Fabien se faire face. Chantilly avait sauté sur le banc et montrait les crocs.

                -T’es qui toi ? lança le photographe en défiant du regard celui qui venait de s’interposer entre Agathe et lui.

                -Aucune importance, rétorqua Guillaume en relâchant le bras de l’autre. En revanche, toi, je te conseille de partir vite et loin.

                -T’es le nouveau petit copain, c'est ça ? supposa Fabien. Si tu crois que je vais te laisser avec Agathe, tu te mets le doigt dans l’œil jusqu’au coude, mon pote.

                -Fabien, n’envenime pas la situation, intervint Agathe.

               Guillaume fit un signe de la main pour demander à la jeune femme de le laisser faire.

                -Pour commencer tu vas me parler sur un autre ton, articula Guillaume, piqué au vif par les propos familiers de l'autre. Je ne suis pas ton pote.

                -On dirait bien. Un pote se montrerait plus sympa. Ça y est ! s’exclama Fabien. Je sais qui tu es ! Guillaume Avignant, le comédien ! Non mais Agathe, comment t'as trouvé le moyen de sortir avec un type comme lui ?

                -Quoi, un type comme moi ? hurla Guillaume en se dressant de toute sa hauteur devant Fabien pour le faire reculer. Qu’est-ce qu’il a le type comme moi ?

                -Guillaume s’il te plaît, tenta de le calmer Agathe en posant la main sur son épaule.

                C’est le moment que choisit Fabien pour dégainer son appareil photo et prendre un cliché.

                -C’est dans la boîte ! s’exclama-t-il. Demain, vous serez à la une de tous les magazines people du pays !

                Chantilly bondit alors sur le sol et mordit violement le mollet du photographe qui hurla de douleur. D’un mouvement du pied, il envoya choir le petit chien dans l’herbe. Ce dernier couina mais se redressa sur trois pattes, la quatrième semblait blessée, prêt à repartir au combat.

                -Si ça peut te faire plaisir, ma foi, grommela Guillaume en tentant de se calmer. Fais en ce que tu veux de ta photo, c’est le cadet de mes soucis. Tu as eu ce que tu méritais.

                Il félicita son chien d’un regard plein de fierté. Mais Agathe n’était pas de cet avis. Elle savait qu’une telle photographie, agrémentée d’un quelconque texte mensonger comme pouvait en écrire la presse à scandale, risquait de porter un grand coup à la réputation de l’acteur. Elle décida d’intervenir.        

                -Donne-moi cet appareil, Fabien, je ne veux pas que tu vendes cette photo à qui que ce soit.

                -N’y pense même pas, puisque lui, ça n’a pas l’air de l’embêter, alors compte sur moi pour la faire parvenir à un grand nombre de rédacteurs. Salutations, Agathe, lança-t-il en se donnant un air supérieur.

                Il allait s’éloigner sous la pluie qui commençait à tomber mais l’intervention d’Agathe avait fait réfléchir Avignant et lui aussi semblait avoir compris les enjeux de la situation. Il empoigna alors Fabien d’une main, tandis que de l’autre il attrapait l’appareil photo. Fabien dégagea aussitôt son bras mais abandonna sans le vouloir son appareil à Guillaume. Il n’eut pas le temps de le récupérer que déjà l’acteur s’avançait vers le bord du lac en examinant son butin.

                -C’est l’un de ces vieux appareils à pellicule amovible, dis-moi ? Tant mieux pour toi, tu pourras toujours le reprendre une fois que j’aurais supprimer les photos.

                Tout en parlant, Guillaume avait fait glisser la pellicule dans la paume de sa main. Il referma ses doigts dessus puis, d’un large mouvement du bras, il la jeta le plus loin possible vers le centre du lac. Satisfait, il laissa tomber l’appareil photo dans l’herbe.

                -Non mais ça va pas ? s’écria Fabien, furieux. Tu sais combien ça coûte ces trucs-là ?

                -Pas la moindre idée, mais ce n’est sans doute pas bien plus cher que la consultation de vétérinaire que je vais devoir payer à mon chien, car je te signale qu’il boite.

                Le tonnerre gronda soudain et la pluie se fit plus intense. Fabien récupéra son bien en grinçant des dents et grogna :

                -Tu me le paieras.

                Il lança un dernier regard plein de courroux à Agathe et s’enfuit en courant, pressé de se mettre à l’abri. Guillaume se tourna vers la jeune femme. Cette dernière comprit avant qu’il ne parle qu’il était à nouveau maître de lui. Elle se surprit à le trouver incroyablement beau dans sa chemise qui, mouillée par la pluie, lui collait à la peau.

                -Qui était-ce ? demanda-t-il.

                -Mon ex petit ami, expliqua-t-elle avec une grimace.

                -Puis-je te demander pourquoi vous vous êtes séparés ?

                -A l’époque nous travaillions ensemble et j’ai vraiment peu apprécié qu’il raconte ma vie privée à tous nos collègues, mentit-elle comme à chaque fois qu'on lui posait la question. Je l’ai quitté et j’ai postulé chez Mme Rovane. Il l’a très mal pris.

                -C’est ce qu’on dirait, en effet, commenta Guillaume. Allez, viens, ne restons pas sous cette pluie.

                Il retira son chapeau et le vissa sur la tête d’Agathe en s’expliquant :

                -Tes cheveux ne sont pas encore complètement trempés, alors autant les protéger au maximum de cette tempête.

                -Merci, dit-elle. Par pour le chapeau, pour ton intervention.

                -Tu croyais quand même pas que j’allais te laisser seule avec ce… hésita-t-il par manque d’inspiration. Avec lui.

                L’expression de Guillaume fit rire Agathe qui se pencha pour soulever Chantilly, afin d’épargner sa patte blessée durant le trajet jusqu’à la voiture de son propriétaire. Guillaume entoura les épaules de la jeune femme avec son bras et ils se mirent à courir en riant en direction du véhicule qui était garé beaucoup plus loin.


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  •             Dissimulée derrière l’un des hublots de l’avion, Agathe observait la foule de journalistes venus, caméra au poing, immortaliser son arrivée. L’avion s’était posé depuis quelques minutes et la jeune femme sentait son angoisse grandir à chaque seconde. Placés en retrait à quelques mètres des journalistes, Agathe avait reconnu les silhouettes de plusieurs membres de sa famille, à commencer par ses parents. Elle fut étonnée par la présence de Jean-Paul, son frère aîné, qui vivait à Londres et qu’elle ne voyait que pour les fêtes de Noël. Pour finir, il y avait Maria, son amie d’enfance qui avait quant à elle emménagée à Lyon, ce qui n’empêchait pas les deux jeunes femmes de se voir régulièrement. Agathe fut déçue en remarquant que Guillaume brillait par son absence.

                Elle s’enfonça dans son siège ; elle n’était pas pressée de sortir. D’autant plus que les Russes qui s’occupaient de l’avion lui avait annoncé qu’une voiture l’attendait à l’aéroport afin de la conduire avec ses proches à l’Élysée où ils devaient rencontrer le président. Elle ferma les yeux en soupirant. Lui non plus, elle n’avait pas hâte de le voir. Une pensée traversa subitement son esprit et elle ouvrit brusquement les yeux. Elle les baissa sur sa jambe blessée et grinça des dents. Le rocher n’avait pas seulement entaillé sa chair, il avait aussi abîmé le muscle de sa cuisse et à cause de cela, elle devait marcher avec une béquille. Génial, la planète entière va me voir rentrer en France en boitant, pensa-t-elle. Elle aurait donné n’importe quoi pour que tous ces journalistes soient appelés ailleurs et ne la voient pas dans cet état. Certes, elle allait beaucoup mieux qu’il y a quelques jours car elle avait subit une transfusion sanguine pour compenser le sang qu’elle avait perdu et qui était à l’origine de son évanouissement mais elle ne se sentait pas suffisamment forte pour endurer une telle médiatisation.

                Son regard se posa sur les sièges vides tout autour d’elle. Elle n’aurait pas dû être seule. Ils auraient dû être cinq. Mais la dépouille de Lyov avait était abandonnée à Moscou et celle de Lena remise aux autorités allemandes. Restaient Michael et George, allongés quelque part dans la soute de l’avion. Des larmes coulèrent sur les joues d’Agathe. Cela n’aurait pas dû se passer ainsi. Pas un instant elle n’avait pensé qu’elle serait la seule à revoir ses proches. Elle se demanda si elle avait le droit d’être heureuse en ce jour de retrouvailles alors que les filles Turner venaient de perdre leur père et que le petit Siegfried Dusch n’allait jamais revoir sa mère. Quant à la fratrie Ivannovsky, elle devait sans doute pleurer Lyov. De tous, George était le moins à plaindre puisqu’il venait de rejoindre son épouse en héros, comme il le souhaitait. Et elle, Agathe Rousseau, serait la seule à porter les souvenirs douloureux de ce périple en Corée.

                Tout ce mélangeait dans son esprit. Elle ne savait plus si elle devait pleurer les morts, se réjouir de son sort ou au contraire se lamenter car elle était la seule encore en vie. Un homme la tira brusquement de ses réflexions.

                -Il est temps d’y aller, l’informa-t-il en anglais.

                Agathe sécha rapidement ses larmes et se mit debout en tremblant. L’homme lui tendit sa béquille. Elle l’agrippa avec toute la force de sa main gauche comme on se cramponne à une bouée de sauvetage.

                -Soyez le plus naturel possible, recommanda le Russe. N’oubliez pas que ces images vont faire le tour du monde, il faut faire bonne impression.

                Agathe le dévisagea sans comprendre. Il tenta de s’expliquer :

                -Vous savez, les dirigeants ont affirmé aux médias que vous, et les quatre autres, vous vous étiez portés volontaires pour l’opération Honda. Il est donc impératif que les circonstances réelles de votre départ en Corée demeurent inconnues du public, et de vos proches aussi bien entendu. Vous êtes donc une journaliste rentrant chez elle après avoir accompli une mission à laquelle elle a participé volontairement. Tâchez donc d’arborer un air satisfait.

                La jeune femme ferma les yeux un instant pour tenter d’assimiler les paroles de cet homme. Un rôle. Il lui demandait de jouer un rôle pour que cinq dirigeants puissent conserver leur image de marque. Elle savait depuis longtemps que le monde politique fonctionnait ainsi : il fallait taire certaines choses afin de faire bonne impression. Elle s’était promis de ne jamais agir ainsi sur les ordres d’une personnalité politique mais cette fois, il valait peut-être mieux garder ce secret pour elle. Pour l'instant.

                Elle darda un regard glacial sur le Russe et attendit qu’il prenne une initiative.

                -Encore une chose, conseilla-t-il. Faîtes toujours attention à ce que vous direz en public à propos de ce voyage en Corée. Moins le peuple en sait, mieux il se porte.

                -Vous croyez-vous au-dessus, du peuple ? ne put s’empêcher de rétorquer Agathe, un profond mépris perçant dans la voix.

                L’homme ne répondit pas, releva la tête pour paraître plus grand. Je prends ça pour un oui, pensa la journaliste. Le Russe s’approcha de la porte de l’appareil.

                -Allons-y, dit-il tandis que le panneau de métal coulissait.

                Agathe fut un instant aveuglée par la puissante lumière du soleil. Puis elle discerna la masse grouillante de journalistes. Plusieurs flashs crépitèrent. Elle inspira profondément l’air frais de ce milieu d’après-midi puis, s’appuyant sur sa béquille, fit un pas en direction de l’escalier qui lui permettrait de rejoindre le sol. Elle hésita un instant, ne sachant comment aborder la première marche. Elle résolut d’y poser d’abord sa jambe valide. Elle avança ensuite l’autre au-dessus du vide et prit appui avec sa béquille sur la marche suivante. Elle répéta mécaniquement ce manège jusqu’à arriver au bas de l’escalier. Le Russe était toujours sur ses talons. Elle regarda devant elle et fut frappée par la grande distance qui la séparait encore de ses proches. Tous leurs objectifs pointés sur elle, les photographes continuaient à la bombarder et elle se sentait de moins en moins à l’aise. Elle fit quelques pas hésitants sur le tarmac. Se remémorant les conseils du Russe, elle regarda sa famille et afficha un sourire heureux, quoiqu’un peu forcé. Elle adressa la même expression aux journalistes, en l’accompagnant d’un signe aimable de la main. Cette fois, elle avança  d’une démarche plus sûre, les yeux rivés sur les quatre personnes qui l’attendaient. Pendant un bref instant, elle pensa à Guillaume. Combien elle aurait aimé qu’il soit là ! Sa mère lui épargna les derniers mètres en se précipitant dans ses bras. Elle pleurait de joie.

                -Comme je suis contente de te revoir, je me suis fais beaucoup de souci, chuchota-t-elle au creux de l’épaule de sa fille.

                -Moi aussi, Maman, je suis contente d’être là, répondit Agathe sans conviction.

                Son père la serra à son tour contre lui sans un mot, sans doute trop ému pour parler. Ce fut au tour de Maria de saluer son amie.

                -Ne me fais plus jamais une peur pareille, la sermonna-t-elle gentiment.

                -Entendu, marmonna Agathe qui savait qu’une semaine plutôt Maria ignorait qu’elle se trouvait en Corée et n’avait donc aucune raison de s’inquiéter.

                La jeune femme faisait tout pour paraître heureuse mais rien ne parvenait à graver cette joie factice dans son cœur. Pourquoi n’es-tu pas venu, Guillaume ? Finalement, Jean-Paul s’approcha de sa sœur et la serra avec force.

                -Qu’est-ce qui t’as pris de partir là-bas ? lui demanda-t-il sur un ton de reproche.

                -Je ne sais pas, murmura Agathe d'un air absent.

                Tandis que son frère la tenait contre lui, son regard parcourut la foule de journalistes devant elle. Tous immortalisaient ce moment. Juste derrière la barrière de fer qui les empêchait de s’approcher, Agathe crut reconnaître sa collègue Alicia, un appareil photo à la main. C’est alors qu’elle le vit près d’elle. Leurs regards se croisèrent. Ils se sourirent. Il était venu.

                Jean-Paul fit un pas en arrière pour mieux regarder sa cadette. Mais elle l’ignorait, préférant sourire à quelque chose derrière lui. Il se retourna pour comprendre ce qui retenait son attention. S’il repéra un célèbre acteur parmi les photographes, il ne put saisir l’échange silencieux qui le reliait à sa sœur.

                Agathe avança légèrement. A la force des bras, Guillaume se hissa au-dessus de la barrière et sauta de l’autre côté. En quelques foulées, il rejoignit Agathe qui tendait la main vers lui. Il la serra contre lui. Elle lâcha sa béquille pour pouvoir mieux refermer ses bras sur lui. D’abord, il ne dit rien, se contentant de respirer son parfum. Puis il murmura à son oreille :

                -Tu es revenue.

                -Je te l’avais promis, répondit-elle simplement.

                Elle recula afin de regarder son visage rayonnant de bonheur. Ils s’embrassèrent. Des hourras furent criés par les journalistes mais ils ne les entendaient pas. Guillaume s’écarta un instant pour observer Agathe. Il l’avait vu boiter en sortant de l’avion mais à part cela, elle avait l’air d’aller bien et semblait heureuse de le revoir. Ils se sourirent et s’embrassèrent à nouveau, se souciant peu d’être observés. Lorsqu’ils s’éloignèrent finalement l’un de l’autre, ils continuèrent à échanger un regard amoureux. Guillaume se baissa galamment pour ramasser la béquille et la rendit à Agathe qui lui offrit son bras libre. Ils marchèrent ensemble vers la famille de la jeune femme. Personne ne parla. Tous sourirent. Obligeamment, le Russe, qui avait été rejoint par deux Français, les invita à se diriger vers une berline, la voiture qui devait les conduire à l’Elysée.

                -Il va manquer une place, signala l’un des Français à son collègue en désignant Guillaume d’un geste discret du menton.

                -Ce n’est pas grave, répondit Avignant avec flegme.

                -Je ne vais nulle part sans toi, exigea Agathe en resserrant son emprise sur le bras de Guillaume.

                Des regards gênés furent échangés car personnes ne voulait céder sa place au comédien. Ce dernier proposa alors :

                -Je n’ai qu’à vous suivre en moto.

                -Hors de question, écarta l’un des deux hommes, cela risquerait d’être mal vu par le président. Et par le public.

                Il avait ajouté ces derniers mots en lançant un regard insistant vers les caméras braquées sur eux.

                -Alors je prends la moto avec Guillaume, imposa Agathe. Vous n’aurez qu’à prétexter à votre public que nous voulions être seuls. Je suis certaine qu’il comprendra.

                Guillaume fut surpris par le mépris qui semblait percer dans les propos de la jeune femme mais ne s’en inquiéta pas ; il y avait certainement une raison. De mauvaise grâce, les deux gardes du corps acceptèrent.

                Suivi par le Russe, le jeune couple se dirigea vers la moto. Guillaume tendit un casque à Agathe et attacha le sien autour de sa tête. Il aida ensuite la jeune femme à la jambe blessée à prendre place derrière lui. Le Russe récupéra alors la béquille et la donna à Jean-Paul car il aurait été difficile de la transporter à moto. La voiture quitta le parking de l’aéroport, immédiatement suivie par le deux roues d’Avignant, sous l’œil avide des photographes, intéressés par cette scène particulière.

                Durant toute la durée du trajet, Agathe resta serrée contre le dos de Guillaume, les deux mains posées sur son torse. Elle souhaita que cet instant durât toujours. Guillaume quant à lui appréciait la proximité de la jeune femme mais avait hâte de mettre pied à terre afin de pouvoir dévorer la journaliste du regard. Toujours derrière l’automobile, ils arrivèrent finalement au cœur de Paris. A plusieurs reprises, ils durent s’arrêter à un feu rouge. Guillaume profita de l’un d’eux pour demander à Agathe :

                -Est-ce que ça va ?

                -Non, soupira-t-elle. Je n’ai aucune envie de voir le président.

                Le comédien ne répondit pas. Se trouvant derrière lui, Agathe ne put voir le sourire qui se dessina sur son visage. Les passants avaient rejoint les trottoirs, le feu de signalisation passa au vert. La berline démarra, s’engagea sur le carrefour et tourna à droite. Guillaume prit la direction opposée. En comprenant qu’ils ne suivaient plus la voiture, Agathe fronça les sourcils. Elle attendit qu’ils soient à nouveau bloqués par la circulation pour le faire remarquer à son ami.

                -Nous ne sommes pas obligés d’aller à l’Elysée si tu ne le souhaites pas, expliqua-t-il.

                -Pas sûr que le président apprécie.

                -Tant pis pour lui, ce n’est pas notre problème, répondit Guillaume avec fermeté en accélérant.

                -Un peu quand même, insista Agathe mais Avignant ne l’entendit pas.

                Il s’en voulait encore d’avoir laissé Agathe partir en Corée alors qu’il aurait pu la retenir. Il n’était pas question qu’elle fasse à nouveau quelque chose qu’elle ne voulait pas à cause de lui. Et il était bien décidé à ne pas se rendre chez le président.


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  •             Le président se tenait sur les marches du perron de l’Elysée lorsque la berline entra dans la cour. Le garde du corps qui était au volant sortit de l’automobile et s’avança vers le chef de l’Etat. Curieux, les journalistes présents filmèrent la scène.

                L’homme s’approcha du président et chuchota :

                -Il semblerait que nous ayons un léger ennui, Monsieur le Président.

                Comme son interlocuteur ne parlait pas, se contentant de fixer un point loin devant lui, il continua :

                -Mlle Rousseau se trouvait derrière nous, sur une moto en compagnie de M. Avignant. Ils n’y sont plus.

                -J’avais remarqué, répondit le chef de l’Etat d’une voix neutre tandis que dans son esprit se rejouait son entrevue avec le comédien.

                -Ne vous inquiétez pas, j’envoie immédiatement nos hommes à leur poursuite, ils n’iront pas loin.

                -C’est inutile, M. Juve, refusa le président en lisant le nom du chauffeur sur la plaque accrochée à la veste de son costume. Parfaitement inutile.

                -Puis-je vous demander pourquoi, Monsieur le Président ?

                -Si ces jeunes gens veulent se retrouver en tête à tête, ce n’est pas moi qui les en empêcherais.

                -Mais l’opinion publique…

                -Ce ne sont pas des fugitifs, coupa le chef de la majorité. Si nous partons à leur recherche, les Français risquent de désapprouver et je ne tiens pas à voir ma côte de popularité baisser un peu plus que d'habitude. Les proches de Mlle Rousseau se trouvent dans cette voiture, n’est-ce pas ?

                -C’est exact, Monsieur le Président.

                -Alors faîtes-les venir. Ce sont eux que je recevrais, l’opinion publique ne m’en sera que plus favorable.

                -Bien, Monsieur le Président, acquiesça l’homme en s’éloignant.

               


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  •             Agathe et Guillaume avaient pris place sur un banc en face du lac. Près d’eux, des enfants jetaient des pierres dans l’eau. Elles ricochaient et laissaient des ronds à la surface du lac. L’onde se propageait alors à l’infini. Pour ne pas troubler le spectacle, les canards avaient choisis de s’installer sur la rive et regardaient avec curiosité les deux enfants qui s’amusaient. Un cygne se posa sur l’eau, brisant les cercles qui toujours grandissaient. Effrayés, les enfants reculèrent lorsque l’oiseau blanc passa près d’eux. Comprenant finalement qu’il n’était pas dangereux, il furent émerveillés par sa majesté et le laissèrent même s’approcher. Puis, ayant fini de jouer, les enfants repartirent main dans la main. Le cygne sortit alors de l’eau et prit leur place dans l’herbe grasse. Paisible, l’animal semblait apprécier la compagnie d’Agathe et Guillaume.

                L’homme avait entouré les épaules de la jeune femme de son bras tandis que celle-ci restait immobile, lovée contre lui. Ils ne disaient rien, savourant simplement chaque seconde. Ils étaient réunis. Le temps semblait s’être arrêté. Aucun promeneur ne passait près d’eux, le vent ne soufflait plus dans les arbres, le cygne avait allongé son cou dans l’herbe, le ciel lui-même semblait regarder les amoureux avec bienveillance. C’était comme si le monde entier acceptait enfin de les laisser en paix. Les pensées d’Agathe s’envolèrent et se perdirent au fond de l’azur immense. Elles choisirent de se poser, légères comme les voluptueuses plumes du cygne, en Corée du Nord, aux abords du fleuve Kumya. Agathe éclata en sanglots. Guillaume ressentie la détresse de sa bien-aimée jusqu’au plus profond de son être. Il referma ses bras autour d’elle dans un geste protecteur. D'une voie coupée par l'émotion, Agathe lui raconta tout. Depuis son départ de Paris, jusqu’à son arrivée dans cette même ville, elle n’oublia aucun détail. Elle semblait être de nouveau calme mais Guillaume la savait tourmentée alors il la serrait toujours un peu plus contre sa poitrine, afin qu’elle n’oublie pas la douceur de la réalité.

                Le soleil disparaissait derrière la cime des arbres quand Agathe acheva son récit. Guillaume la tint contre lui quelques minutes encore pour qu’elle recouvre ses esprits, puis il lui proposa de rentrer. Elle acquiesça. Il l’aida à se relever et la laissa s’appuyer sur lui pour rejoindre la moto. Elle parut marcher avec moins de difficulté qu’au sortir de l’avion, comme si la présence de Guillaume avait soulagé sa douleur.


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