• JtlP.1 : Siège de la rédaction d’un grand quotidien français, Paris Le 7 avril, 9h35

                Elle entra dans la grande pièce où s’alignaient de très nombreux postes informatiques. Elle se dirigea vers le sien puis s’installa devant son ordinateur. Elle s’apprêtait à l’allumer lorsque sa collègue l’interpella :

                -Agathe, la directrice veut te voir dans son bureau immédiatement.

                -Comment ça ? s’étonna-t-elle. Il y a un problème ?

                -Je n’en sais rien. Elle a juste dit que tu devais la rejoindre dès que tu arriverais. Elle a ajouté que c’était urgent.

                -Etrange, murmura Agathe en se levant. Merci Alicia, j’y vais de suite.

                -Tu me raconteras ? insista son amie en la regardant s’éloigner.

                -Bien entendu.

                La jeune femme contourna les rangées de bureaux et se dirigea vers la porte en verre où figurait l’inscription :

     

    Mme Virginie Rovane,

    Rédactrice en chef

     

                Un jour, j’aurais moi aussi une porte à mon nom, dans ma propre maison d’édition, s’encouragea Agathe avant de frapper.

                -Entrez, l’invita la voix préoccupée de sa supérieure hiérarchique.

                Cela ne présage rien de bon, soupçonna-t-elle. Elle poussa la porte. L’expression de la directrice changea dès qu’elle reconnut sa visiteuse.

                -Mlle Rousseau, s’exclama-t-elle en allant l’accueillir. Je vous attendais. Je vous en prie, asseyez-vous.

                -Bonjour madame, merci, répondit Agathe en prenant place sur la chaise en verre que lui indiquait Mme Rovane.

                Cette dernière s’installa en face d’elle, dans un fauteuil un cuir d’une rare élégance, et qui s’accordait parfaitement avec l’apparence distinguée de la rédactrice. Comme en témoignaient ses cheveux d’un gris éclatant incroyablement bien entretenus, Virginie Rovane avait depuis longtemps dépassé les cinquante ans mais son teint radieux la rajeunissait. Cependant, derrière ses yeux d’un azur rieur se cachait une volonté de fer, une opiniâtreté à toute épreuve qui lui avait permis d’atteindre le poste tant convoité de rédactrice du quotidien le plus lu du pays. Agathe l’admirait beaucoup pour cela.

                -Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous ai convoquée à la première heure ce matin, commença la directrice.

                -J’avoue que je me suis effectivement posé la question, lui accorda la jeune femme sur un ton neutre qui ne laissait pas transparaître ses émotions.

                -J’ai reçu il y a à peine une heure un appel provenant de l’Elysée, déclara-t-elle à brûle-pourpoint. Le président souhaite vous recevoir à onze heures. Il aimerait faire une déclaration à la presse concernant le probable remaniement ministériel dont tout le monde parle et il a choisi notre quotidien. Mais pour une raison que j’ignore, il veut que ce soit vous, et personne d’autre, qui veniez recueillir ses propos. C’est une chance pour nous. Demain, nous aurons pour Une le sujet qui intéresse tous les Français et nous serons les seuls à en parler. J’exige de vous une rigueur et un professionnalisme hors norme. Je vous laisse le soin de choisir les questions que vous lui poserez mais n’oubliez pas : vous n’êtes pas là-bas pour parler de ce qui vous concerne…

                -Mais de ce qui intéresse les Français, compléta Agathe qui connaissait par cœur cette devise que sa supérieure employait sans cesse. Très bien. Je vais rassembler mes affaires et me diriger vers la station de métro. Il est bientôt dix heures et j’ai tout intérêt à partir vite car il me faudra un peu moins d’une heure pour rejoindre l’Elysée. Etait-ce tout ce dont vous vouliez m’entretenir ?

                -Rien d’autre ne me vient à l’esprit. J’espère que vous saurez vous faire apprécier du président et, si c’est le cas, c’est vous qui couvrirez pour nous tous les évènements le concernant jusqu’à la fin de son mandat dans trois ans. Ainsi, il aura confiance en vous et sera peut-être même amical. C’est une occasion à ne pas manquer pour obtenir de nombreuses informations avant le reste des médias du pays.

                -Bien madame, acquiesça Mlle Rousseau. Je viendrais vous remettre mon article dès qu’il sera prêt. Et il le sera pour l’édition de demain, s’empressa-t-elle d’ajouter pour rassurer sa patronne tandis que celle-ci lui donnait congé d’un geste cordial de la main.

                Agathe quitta la pièce après avoir salué Mme Rovane et se dirigea vers son ordinateur. Elle glissa dans son sac un magnétophone pour enregistrer les propos du président puis commença à inscrire sur une tablette tactile qu’elle emporterait avec elle les éléments sur lesquels elle, ou plutôt les Français comme aurait dit sa patronne, souhaitaient obtenir des éclaircissements, à savoir : quand était prévu ce remaniement, quels ministères étaient visés, qu’adviendrait-il du premier ministre et quelques autres interrogations sur le même thème. Elle ajouta après réflexion une question concernant le chômage et ce que prévoyait le président pour sa troisième année à la tête de l’Etat. Elle s’apprêtait à ranger son matériel dans son sac à main lorsque Alicia, la photographe qui travaillait généralement avec elle, fit rouler sa chaise dans sa direction et, s’accoudant à la table, lui demanda :

                -Alors ?

                -Elle m’envoie à l’Elysée pour interviewer le président, résuma Agathe en étant la plus concise possible.

                -Ah, oui, c’est vrai, ton entretien avec la boss, se rappela son amie. Je ne parlais pas de ça.

                -Alors de quoi parlais-tu ? la questionna-t-elle.

                Alicia lui répondit par un large sourire et des yeux brillants d’intérêt.

                -Euh, hésita la journaliste, que suis-je censée comprendre ?

                -Ne fais pas l’innocente, s’agaça sa collègue en se redressant. Je parle de ton rendez-vous, hier soir, avec ton Guillaume, insista-t-elle pour qu’elle ne change pas de sujet.

                -Que veux-tu savoir ? fit Agathe en haussant les épaules. Il ne s’est rien passé. Il m’a offert un verre, nous avons discuté de tout et de rien, comme d’habitude, il m’a raccompagnée à mon appartement, puis il est lui-même rentré chez lui.

                -Tu m’énerve, Agathe, grogna Alicia. Voilà des mois que tu ne parles que du Merveilleux Guillaume Avignant, avec qui tu enchaînes des rendez-vous galants qui se terminent toujours sobrement. Mais bon sang, Agathe, mets-le dans ton lit et on en parle plus !

                -Le mettre dans mon lit ? répéta l’intéressée, sceptique. Non, je ne veux pas coucher avec quelqu’un si cette personne ne m’aime pas.

                -Ne soit pas idiote, bien sûr qu’il t’aime, il a largué Emilie Decône quelques semaines après t’avoir rencontrée, je te signale ! Emilie Decône ! La grande actrice Emilie Decône, Miss France il y a à peine sept ans ! Si c’est pas une preuve ça !

                -Non, ça ne prouve rien, décréta-t-elle. Elle l’avait trompé, c’est bien normal qu’ils se séparent.

                -Et comment tu sais ça toi ?

                -Parce qu’il me l’a dit, expliqua Agathe en levant les yeux au ciel. Bon, si ça ne t’ennuie pas, il faut que j’y aille, je serais bien embêtée si je faisais attendre le président.

                Elle se leva et ramassa son sac. Alicia tenta une dernière fois d’obtenir quelques confidences :

                -Mes questions non plus n’attendent pas !

                -Plus tard, soupira-t-elle en se dirigeant vers la porte.

                Elle dévala les escaliers du vieux bâtiment et se retrouva dehors quelques secondes après. Elle se fondit dans la masse de passants qui circulaient sur le trottoir et se dirigea vers la station de métro la plus proche.

                Agathe Rousseau  était l’exemple même de la femme indépendante. Elle avait grandit en province et était venu seule à Paris pour réaliser son rêve professionnel : devenir la plus grande journaliste politique que le monde ait connue. Cet entretien avec le président était donc une aubaine pour celle qui se rêvait déjà à la place de Virginie Rovane. Elle en était certaine, son ambition la mènerait aux plus hauts postes de dirigeants dans les médias français.

                La jeune femme arriva finalement à hauteur de la station de métro. Elle prit les escaliers en béton et s’enfonça dans les profondeurs du sous-sol parisien. Après avoir validé son ticket, elle alla s’asseoir près du quai, sur l’un de ces bancs créés spécialement pour empêcher les utilisateurs des transports en commun de s’allonger. Tandis qu’elle attendait, elle se surprit à repenser à la soirée de la veille, dans un charmant café de la capitale, en compagnie d’un célèbre acteur, pour parler théâtre et politique. Agathe sourit. Ce n’était, initialement pas le but de la soirée mais c’est bien ce qui, finalement, s’était passé. Elle aimait beaucoup Guillaume et, contrairement à ce qu’elle avait affirmé à Alicia, elle était certaine que c’était réciproque. Mais il semblait évident que ni l’un ni l’autre n’osait l’avouer.

                Il lui avait plu tout de suite. Leur première rencontre remontait au mois de septembre dernier, lorsque Agathe avait dû interviewer les acteurs d’une pièce comique, Mon cher mari cocu, qui avait remplit les salles de théâtre durant tout l’été et qui, forte de son succès, devait être prolongée jusqu’en novembre. Agathe s’était rendu au Théâtre Antoine, où elle avait été reçue par Henry Lantier, qui partageait l’affiche avec Michèle Jacob et Guillaume Avignant, et qui l’avait conduite dans la salle où répétaient justement les deux autres en compagnie du metteur en scène.

                -Hé ! tout le monde ! les interpella Lantier, regardez qui j’amène !

                -La journaliste ! Nous voilà enfin célèbres ! s’exclama Avignant en sautant avec souplesse au pied de la scène.

                -Comme si vous ne l’étiez pas déjà, commenta le metteur en scène qui ne semblait pas avoir remarqué la pointe d’humour dans la voix du comédien. Je vous laisse, je vais me chercher un café.

                -Tu pourrais au moins dire bonjour, le rabroua Jacob qui, le regardant quitter la salle, s’empressa d’ajouter à l’intention d’Agathe : Enchantée, mademoiselle.

                -Tout le plaisir est pour moi, Mme Jacob, sourit-elle en lui serrant la main.

                -Je vous en prie, appelez-moi Michèle.

                -Entendu, Michèle, répéta la journaliste, habituée à ne jamais contrarier les personnes qu’elle devait interviewer.

                -Et voici Guillaume, compléta Lantier en désignant son acolyte.

                -Ravi de faire votre connaissance, la salua celui-ci. Mademoiselle … ?

                -Rousseau ! Agathe Rousseau, se présenta-t-elle. Heureuse de vous rencontrer.

                -Asseyez-vous, lui proposa Michèle en désignant à la journaliste l’un des fauteuils du premier rang à côté duquel elle prit place.

                A regret, Agathe détacha ses yeux de ceux, sombres et charmeurs d’Avignant et s’installa près de la comédienne.

                -Avez-vous vu la pièce ? demanda aussitôt Henry Lantier.

                -Oui, commença Agathe puis, croisant le regard curieux de Guillaume Avignant, se rétracta : non. Mais je viendrais à la représentation de ce soir.

                -Merveilleux ! s’exclama Mme Jacob. Je vais aller vous chercher un billet, cela m’ennuierait que vous soyez obligée de payer votre place.

                -Merci, c’est gentil, balbutia Agathe alors que l’actrice se précipitait d’un pas sautillant vers les guichets à l’entrée du bâtiment.

                -Elle est très en forme pour son âge, commenta Avignant devant l’air surpris de la jeune femme.

                -Elle n’est pas si vieille que ça, voyons, affirma sur un ton faussement vexé Lantier.

                La journaliste comprit qu’il disait cela parce qu’il était plus vieux que Jacob. Elle observa Guillaume Avignant qui s’était assis sur la scène. Elle savait qu’il avait trente-cinq ans, soit onze années de plus qu’elle. Ses cheveux courts d’un brun foncé ne semblaient pas être coiffé mais cela ne lui donnait aucunement l’air négligé. Elle avait constaté en lui serrant la main qu’il était à peine plus grand qu’elle et donc d’une taille très moyenne –il ne devait pas faire un mètre soixante-quinze.

                Lantier interrompit ses pensées en proposant :

                -Souhaitez-vous boire quelque chose ? Thé, café ?

                -De l’eau s’il vous plaît, demanda-t-elle.

                -Je ne vous en avais pas proposé, fit remarquer l’acteur.

                Agathe n’était pas certaine qu’il ait voulu plaisanter mais ne souhaitant pas passer pour une impolie au cas où ce ne soit effectivement pas de l’humour, ajouta :

                -Si vous avez du thé et du café, c’est forcément que vous avez de l’eau.

                Avignant, qui ne s’attendait visiblement pas à une réplique aussi bien sentie, éclata d’un rire franc et sonore. Ne trouvant rien à redire après cette lapalissade, Lantier quitta la salle par la même porte que le metteur en scène. Agathe et Guillaume se retrouvèrent alors en tête-à-tête.

                La rame de métro s’arrêtant sur le quai tira Agathe de sa rêverie et elle monta dans le transport par la porte la plus proche.

                Lorsqu’elle arriva dans le quartier de l’Elysée, son esprit s’était recentré sur la seule chose qui importait vraiment pour l’instant : le président. Elle l’avait déjà rencontré et savait comment se comporter en sa présence, cet entretien ne l’effrayait donc pas. Un élément lui revint en mémoire alors qu’elle approchait du grand portail à l’entrée du bâtiment : Mme Rovane lui avait dit que le président voulait la rencontrer elle, et personne d’autre, ce qui était particulièrement curieux : elle n’avait, de mémoire, rien fait qui puisse attirer l’attention de cet homme. Néanmoins, elle décida de faire comme si elle savait à l’avance ce qui allait se passer afin d’éviter que son interlocuteur ne mette à profit son ignorance. Elle ne pouvait pas se douter que ce serait parfaitement inutile.

                Un homme dont le complet noir rappelait les pingouins, armé et muni d’une oreillette, attendait à l’entrée. Dès qu’il l’aperçut, il la fit entrer et lui demanda de le suivre. Curieuse, elle lui emboîta le pas en direction d’une petite porte, dissimulée à quelques mètres de l’entrée principale. Elle remarqua en souriant qu’il n’avait pas la démarche de l’animal nordique, fort heureusement pour lui. Ils se retrouvèrent dans un petit couloir très sombre aux allures de passage secret. Ils le remontèrent puis une porte coulissa devant eux et ils débouchèrent dans une galerie richement décorée mais qui, à en juger par la présence de poussière, ne devait pas être très souvent fréquentée. L’homme se dirigea vers une porte en bois blanc dorée à l’or fin et l’ouvrit en utilisant une grosse clé. Derrière se trouvait une seconde porte, en métal cette fois, qu’il déverrouilla grâce à un système de reconnaissance digitale. Ils pénétrèrent dans un ascenseur. Agathe remarqua qu’il n’y avait pas de boutons pour sélectionner un étage, elle en déduisit donc qu’il n’y avait qu’une seule destination possible. Elle sentit que l’ascenseur descendait, elle compta mentalement et sut ainsi que l’engin s’immobilisa au bout d’environ trois secondes, ils n’étaient donc pas descendus très bas. La porte glissa sur le côté, découvrant un couloir dont la modernité du design était digne d’un film de science-fiction. Agathe commençait sérieusement à se demander ce qu’elle faisait là. Ils passèrent devant plusieurs portes blindées puis s’arrêtèrent devant l’une d’elles. Un scanner vert analysa alors l’iris de son guide puis la surface métallique coulissa dans un chuintement. Cette fois, au lieu d’entrer, l’homme à l’oreillette lui indiqua qu’elle devait passer devant, ce qu’elle fit non sans hésitation. Elle sursauta légèrement en entendant la porte se refermer derrière elle, la séparant de lui. Elle n’eut cependant pas le temps de paniquer car elle venait de remarquer le bureau qui occupait le centre de la pièce. Derrière celui-ci, un fauteuil lui tournait le dos. Il lui sembla qu’il était occupé. Une voix interrompit sa réflexion :

                -Je vous souhaite la bienvenue, Mlle Rousseau.

                Le fauteuil pivota pour lui faire face et elle croisa aussitôt le regard du président qui y était assis.


  • Commentaires

    1
    Samedi 28 Mai 2016 à 19:31

    Bon, j'arrête ma lecture ici pour ce soir (à regret) mais j'ai mon bac blanc à faire.

    Sinon, et bien j'aime beaucoup ! C'est un thème pas vu, une texte très bien tourné, et j'aime beaucoup l'emploi du point de vue omniscient. Je trouve aussi que tu as très bien sû ancrer ton récit dans un contexte réel, qui pourrais très bien se dérouler aujourd'hui. Je trouve que tu es très douée, et je continuerai ma lecture un peu plus tard. 

    Bravo Xx

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    2
    Samedi 28 Mai 2016 à 19:38

    Merci !!!! #^^# Je suis vraiment contente que ça te plaise assez pour que tu aies envie de lire la suite !

    Bon courage pour le bac blanc ! Moi, je retourne à ma version de latin !

    3
    Samedi 28 Mai 2016 à 19:43

    De rien :p

    Merci... J'ai trop envie en plus... 

    Ah le latin ... J'en ai jamais fait mais le peu que j'ai pu faire réviser à mes copines m'a découragé ! 

    Bon courage à toi aussi Xx

    4
    Samedi 28 Mai 2016 à 21:08

    Merci !

    J'aime bien le latin moi ! En plus, c'est l'une des matière où je réussis le mieux alors pourquoi s'en priver ? ;-)

    5
    Samedi 28 Mai 2016 à 22:11

    Tu as bien raison ! En plus ça dépend quelles études tu veux faire mais ça peut bien t'aider ! 

    Xx

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