• JtlP.4 : Quelque part au-dessus de l’Europe de l’est Le 8 avril, 10h25

    Un chapitre un peu plus long où l'on en apprend davantage sur nos deux héros. Bonne lecture !

     

     

     

                Agathe fut réveillée par des chuchotements. Elle ouvrit doucement les yeux et s’aperçut que deux personnes, un homme et une femme qu’elle n’avait jamais vus, se trouvait en face d’elle. Elle tendit l’oreille pour entendre ce qu’ils disaient. Elle ne comprit d’abord pas. Puis elle reconnut la langue anglaise qu’elle parlait couramment. L’homme sembla se rendre compte qu’elle était éveillée.

                -Bonjour, la salua-t-il dans un français hésitant.

                -Bonjour, répondit-elle en anglais.

                Elle se redressa et étudia brièvement ses deux compagnons. L’homme devait avoir quarante ans. Il avait des cheveux châtains courts, un visage carré, le nez droit et une forte mâchoire. A l’évidence, il faisait beaucoup de sport et peut-être de la natation car il était large d’épaules. La femme semblait plus âgée qu’Agathe. Trente-cinq ans, maximum. Ses longs cheveux blonds se trouvaient attachés en une souple queue de cheval, ce qui mettait en avant l’ovale parfait de son visage et faisait ressortir ses grands yeux sombres.

                -Je m’appelle Lena Dusch, se présenta la femme. Enchantée.

                Un accent germanique perçait dans sa voix bien qu’elle parlât dans la langue de Shakespeare. Ce fut au tour de l’homme à l’anglais parfait de dévoiler son identité :

                -Je suis George Livingstone, ravi de vous rencontrer.

                -Agathe Rousseau,  répondit la jeune femme en leur serrant la main. De même.

                -Vous êtes française, donc ? présuma Livingstone.

                -C’est cela. Vous, vous devez être Britannique et madame Allemande, est-ce exact ?

                -Oui, en effet, approuva Dusch. Vous avez un excellent sens de déduction.

                -Merci. Je suis journaliste, il est donc important pour moi de savoir repérer certains détails.

                -Vous travaillez dans les médias ? s’étonna l’Allemande. Il semblerait que nous soyons tous d’horizons différents. Je suis moi-même médecin.

                -Quand à moi, je travaille pour les services secrets de mon pays, ajouta l’homme avec une pointe d’orgueil dans la voix.

                -Avez-vous vous aussi été contactés par votre chef d’Etat ? les interrogea Agathe.

                -Oui, confirma l’Anglais. Le premier ministre m’a fait par de son « désir ardent » de me voir partir pour cette mission. Je suis très fier d’avoir été choisi. C’est probablement l’opération la plus importante de ma carrière.

                Les deux femmes échangèrent un regard sceptique. Visiblement, Lena n’était pas plus heureuse qu’Agathe de devoir participer à cette mission.

                -J’ai été contactée par la chancelière, expliqua-t-elle. Elle m’a dit que l’équipe avait absolument besoin d’un médecin et a prétendu que ma sensibilité féminine pourrait faire la différence dans les moments critiques.

                -Quant à moi, termina la journaliste, le président s’est contenté de m’affirmer qu’il fallait qu’un reporter prenne part à cette aventure et que j’étais la personne idéale. Je crois qu’il m’a choisie par défaut.

                -Ne dites pas cela voyons ! la sermonna l’espion. Vous avez énormément de chance d’avoir été sélectionnée, vous vous apprêtez, mesdames, à vivre l’événement le plus enrichissant de toute votre existence. Peu de gens peuvent s’en vanter, alors savourez cet instant.

                -Oui, et bien je ne suis pas sûre que nous ayons le temps de nous vanter, justement, maugréa l’Allemande. Nous serons morts avant d’avoir savourer quoi que ce soit.

                Agathe fut soulagée de constater qu’elle n’était pas la seule à craindre de ne jamais revenir. En ce qui concernait George, elle avait la nette impression qu’il attendait le moment de risquer ainsi sa vie depuis toujours. Après tout, en tant qu’espion, savoir ignorer la mort devait faire partie de sa formation. Elle se surprit à le comparer à ce célèbre espion anglais, un personnage de romans et de films, coureur de jupons invétéré, n’ayant aucune attache et risquant de mourir plusieurs fois par épisode. Il en réchappait évidemment toujours. Agathe se demanda si Livingstone serait à la hauteur de ce légendaire collègue.

                -D’après ce que j’ai compris, un Russe et un Américain doivent encore nous rejoindre, fit remarquer George. J’espère qu’ils ne se comporteront pas en rivaux.

                -Cela m’étonnerais, démentit Agathe. L’époque de la guerre froide est révolue depuis longtemps et ce serait complètement absurde de leur part de se détester à cause d’elle.

                -Vous savez, insista Livingstone, l’amour de sa patrie peut pousser à bien des choses et ils peuvent avoir des réactions extrêmes l’un envers l’autre, j’irai même jusqu’à dire radicales.

                -Vous pensez qu’ils pourraient aller jusqu’à s’entretuer ? Non, c’est ridicule !

                -C’est vous qui avait prononcé le mot « s’entretuer » ! fit remarquer l’espion.

                -Je pense, conclut la journaliste que nous devrions attendre de les connaître plutôt que d’enchaîner les hypothèses sur leur compte.

                -Comme vous voudrez, accepta George. Mais je pense ne pas me tromper.

                Agathe ne préféra pas relever l’air de supériorité que se donnait son camarade. Elle regarda les nuages au travers du hublot qui lui avait plus tôt permit d’observer Paris. Paris. Cette ville qu’elle ne reverrait sans doute jamais. Et puis non, décida-t-elle. Arrêtons de penser de façon négative, ça ne permet pas d’avancer. Nous allons terminer cette mission en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et nous rentrerons chez nous. Tu verras, Guillaume, je reviendrais.

                Pendant quelques temps, plus personne ne parla. Les trois nouveaux alliés étaient plongés dans la contemplation de leurs pensées respectives et personne ne semblait vouloir rompre le silence. Ce fut finalement Lena qui prit la parole la première :

                -Avez-vous laissé de la famille au pays ? Y a-t-il des gens qui vous attendent ?

                -Bien sûr que non, rétorqua froidement Livingstone. Mon métier m’interdit ce genre de relation. Mais, si vous avez abordé le sujet, c’est que vous désirez nous parler de vous alors nous vous écoutons.

                Agathe lâcha un soupir exaspéré. Elle se surprit à espérer la mort rapide de l’Anglais car elle n’allait pas le supporter longtemps. Dusch, quant à elle, ne sembla pas s’offenser de cette remarque désobligeante et répondit :

                -Je suis divorcée. J’ai un fils, Siegfried, de deux ans. Il va rester chez son père le temps que je revienne. Je suis aussi très proche de ma sœur. J’ai eu beaucoup de mal à lui dissimuler ma destination. D’habitude, je lui dis toujours tout. Et vous, Agathe, si vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?

                -Oui, évidemment. Nous allons être amenés à passer du temps ensemble, inutile donc de s’embarrasser avec des « monsieur » et des « madame ». Mes parents et mon frère aîné ignorent que je suis partie.

                -Y a-t-il quelqu’un dans votre vie autre que votre famille ? l’interrogea George.

                -Effectivement, bafouilla Agathe qui n’aimait pas parler d’elle et encore moins à des gens qu’elle connaissait à peine. Mais rien de bien officiel. Nous ne vivons pas ensemble.

                -Vous couchez ensemble ? voulu savoir Livingstone.

                Il reçut le coude de Lena dans l’estomac tandis que celle-ci le tançait :

                -George, voyons ! On ne pose pas ce genre de question à une jeune femme ! De grâce, Agathe, ne répondez pas !

                -Je n’en avais pas l’intention, assura-t-elle, mettant un terme à la discussion.

                Chacun se replongea donc dans ses pensées. Celles d’Agathe se tournèrent finalement vers Guillaume. Elle s’inquiétait pour lui. Il devait être terriblement angoissé à l’idée qu’elle ne revienne pas. C’était peut-être aussi le cas après leur première entrevue, au théâtre Antoine, il lui avait immédiatement plu et elle savait maintenant avec certitude que cela était réciproque. Elle-même avait décidé de tout faire pour le revoir.

                Elle avait donc acheté, moins de deux semaines après leur première rencontre, une place pour retourner voir Mon cher mari cocu. Elle avait eu énormément de mal à en trouver une puisque la pièce se jouait à guichets fermés mais, après moult négociations avec un certain GrandBen_du75 sur Internet, elle avait finalement pu lui racheter sa place près du double du prix de départ, mais cela n’avait pas d’importance. C’est ainsi qu’elle se retrouva à 20h00 un vendredi soir devant le théâtre Antoine. Elle eut quelques difficultés pour se faufiler au premier rang mais y parvint malgré tout. Une demi-heure plus tard, la représentation débutait. Elle suivit avec attention le déroulement de l’intrigue, étonnée de constater que, bien que l’histoire soit tout à fait identique à la première fois, le jeu des acteurs variait. Parfois, juste un peu et parfois, il était complètement différent. Elle murmura certaines répliques en même temps qu’Avignant car elle les avait retenues sans le vouloir la première fois. A un moment de la pièce, le personnage du plus jeune des trois comédiens se tourna vers le public pour réciter un aparté assez long. Le regard de l’acteur se promena dans la salle et croisa finalement celui de la journaliste. Heureusement qu’il arrivait à la fin de sa réplique car il faillit perdre le fil de ce qu’il racontait tant il était surpris par sa présence. Il reprit néanmoins son sérieux et la scène se termina sans encombre. Lorsqu’à la fin, Jacob, Lantier et Avignant vinrent saluer les spectateurs sous les hourras de ces derniers, le comédien fit comprendre à la jeune femme de le rejoindre en coulisse. Il n’avait pourtant rien fait de particulier, mais elle savait que s’il avait pu lui parler, il aurait dit cela. Les spectateurs quittèrent finalement la salle et Agathe attendit que la majorité d’entre eux soit sortie pour se diriger vers l’endroit réservé aux acteurs. Un homme en costume de pingouin lui barra la route mais Avignant lui fit signe de la laisser passer alors il s’exécuta. La journaliste le suivit donc dans le couloir.

                -Je suis heureux de vous revoir, affirma Avignant une fois qu’ils se furent éloignés des oreilles indiscrètes de l’homme de la sécurité.

                -Tant mieux, j’avais peur que ce ne soit pas le cas, se justifia Agathe.

                -Pas le cas ? feignit de s’étonner Guillaume. Comment peut-on ne pas vouloir revoir une femme aussi charmante que vous ? C’est impossible !

                -Je vous remercie, sourit-elle en relevant le compliment.

                -Etes-vous pressée ou puis-je aller me changer et vous inviter à boire un verre ?

                -Non, je ne le suis pas. Mais je pense que le verre se prendra chez moi, il n’y a guère que les restaurants qui sont encore ouverts à cette heure et je pense qu’ils espèrent tous pouvoir fermer dans la prochaine demi-heure.

                -Comme vous voudrez, accepta-t-il.

                -Ma chère Agathe ! s’exclama une voix dans le couloir derrière Avignant. Mais que faites-vous ici ?

                Le comédien grimaça, arrachant un rire discret à la jeune femme qui, se tournant vers l’actrice, s’exclama :

                -Michèle ! Comme je suis contente de vous revoir ! Vous avez été formidable !

                -Je reviens, souffla Avignant en s’éclipsant.

                -Vous trouvez ? s’écria l’extravagante dame. J’ai pourtant l’impression de ne pas avoir fait mon maximum. Je suis déçue de ma prestation. J’aurais dû accentuer l’air hautain de mon personnage dans la scène où son mari découvre qu’elle le trompe. Non, vraiment ! Je ne suis pas satisfaite, j’aurais pu, j’aurais dû, faire mille fois mieux !

                -Rassurez-vous, cela ne s’est pas sentit, affirma Agathe.

                -Vous le pensez ?

                -J’en suis sûr, répondit-elle avec l’un de ces sourires rassurants dont elle seule avait le secret.

                -Tant mieux ! Si vous m’avez trouvée formidable, c’est que je l’étais aux yeux des spectateurs, ou du moins aux yeux de ceux qui ne connaissent pas mon talent !

                Agathe faillit hurler de rire. Michèle Jacob était capable de changer radicalement de comportement en un instant. D’abord elle se blâmait puis d’un coup se félicitait elle-même comme si elle n’avait jamais douté de son habileté sur scène.

                -Mais dites-moi plutôt, reprit la comédienne, que nous vaut l’honneur de votre visite ?

                -Je voulais simplement passer pour vous saluer tous les trois, affirma Agathe qui ne voulait pas que Jacob comprenne qu’elle était venue seulement pour Avignant.

                -Comme c’est gentil à vous ! Venez avec moi et allons voir Henry.

                -Excellente idée ! approuva la journaliste en lui emboîtant le pas.

                Elles se dirigèrent vers l’une des loges. Michèle entra sans frapper, arrachant un cri de surprise à Lantier qui, torse nu, téléphonait.

                -Je te rappelle, glapit-il dans le combiné. Oui, moi aussi je t’aime, ma chérie. A tout à l’heure.

                Il raccrocha et se tourna vers ses visiteuses. Il fusilla Michèle du regard, attrapa un t-shirt et l’enfila en grognant :

                -Non de non, Michèle, n’entre pas ici sans prévenir ! C’est une loge, pas un moulin !

                Jacob allait répondre mais Agathe la devança :

                -Nous sommes vraiment désolées, M. Lantier. Je voulais simplement vous saluer et vous féliciter pour votre prestation, je ne pensais pas déranger. Nous allons donc vous laisser sans plus tarder.

                -Vous partez déjà ? s’étonna Michèle en poursuivant la journaliste dans le couloir tandis que Lantier refermait sa porte en grommelant.

                -Oui, confirma Avignant en arrivant sur ces entrefaites. Tu devrais rentrer chez toi, Michèle, nous avons une autre représentation demain. Je vais en faire autant mais avant tout, je raccompagne Mlle Rousseau chez elle, hors de question qu’elle prenne le métro à cette heure.

                -Très bien, soupira l’actrice. Je suis contente de vous avoir revue, Agathe.

                -Tout le plaisir est pour moi, répondit celle-ci en lui serrant la main.

                -Reviendrez-vous nous voir ?

                Agathe eut alors une idée. Oui, elle aurait beaucoup aimé revenir voir les trois comédiens, et Avignant en particulier, mais s’il fallait qu’elle dépensât autant à chaque fois, c’était tout simplement impossible. Elle tenta donc :

                -J’aimerais bien, Michèle mais vous savez, une entrée pour la pièce, ce n’est pas donné et…

                -Ce n’est pas un problème, rétorqua Jacob en mordant à l’hameçon, tenez, voici mon numéro de téléphone, appelez-moi lorsque vous souhaiterais revenir, je vous payerais la place. Mais, ne le donnez à personne !

                -C’est vraiment très aimable à vous, accepta la journaliste en prenant le bout de papier que la quarantenaire lui tendait. Je vous remercie.

                -Ce n’est rien, voyons ! A très bientôt, j’espère !

                -Au revoir Michèle.

                La comédienne se dirigea vers sa loge, laissant Agathe et Avignant seuls dans le couloir. La jeune femme se tourna vers l’acteur qui la dévisageait d’un air désapprobateur.

                -Il fallait bien que j’essaie, se justifia-t-elle avec un pauvre sourire. Et, ça a marché.

                -Je n’aime pas que l’on manipule les gens ainsi, rétorqua Guillaume.

                -Désolée, j’éviterais à l’avenir.

                -Surtout que j’aurais pu vous les offrir, ces places, ajouta-t-il.

                -Alors offrez-les moi et, promit, je détruit ce numéro, proposa-t-elle d’un air malicieux en agitant le papier sous son nez.

                -Je vais le faire moi-même.

                Il lui arracha la petite feuille de la main et la déchira. Il glissa les morceaux dans une poubelle qu’ils croisèrent en se dirigeant vers la sortie.

                -Il faudra me donner le vôtre, maintenant, termina Agathe avec un grand sourire.

                -J’y penserais.

                Ils retrouvèrent la voiture du comédien dans un parking à proximité du théâtre. Agathe fut surprise par la petitesse du véhicule bleu acier d’origine française.

                -Je n’apprécie guère les grosses voitures, expliqua-t-il face à l’air interrogateur de sa camarade. Il est difficile de les garer dans la capitale.

                -C’est vrai, reconnut-elle. C’est pour cela que je prends les transports en commun.

                -Et vous avez bien raison. Mais moi, il m’est impossible de les emprunter. Où alors il faudrait que je sois déguisé et ce serait énervant, à la longue, de devoir me coller une fausse moustache à chaque fois.

                -Je vous imagine bien avec une moustache, s’esclaffa Agathe en prenant place côté passager.

                -Vous m’imaginez, mais ça ne veut pas dire que cela m’irait, fit remarquer Guillaume. Où habitez-vous ?

                La journaliste lui donna l’adresse et le véhicule démarra. Il se glissa sans trop de difficulté dans la circulation parisienne nocturne. Tandis que son chauffeur suivait avec application les indications pour rejoindre le quartier de la jeune femme, celle-ci porta son attention sur les étoiles. La lune était visible, ce soir-là. Comme s’il suivait les pensées de la journaliste, Guillaume demanda :

                -Connaissez-vous la chanson Au clair de la Lune ?

                -Oui, très bien, répondit-elle, étonnée par une question aussi enfantine. Pourquoi donc ?

                -Moi, je ne l’ai apprise que récemment. Je me rappelle de la mélodie que ma mère me chantait quand j’étais petit mais j’ai toujours associé ces sons à une histoire de lapins, et certainement pas à des chandelles.

                -Oh, je vois tout à fait de quoi vous voulez parler, s’exclama Agathe. Il existe bien une version de cette chanson parlant de lapins buveurs de vin.

                Sans qu’il ne lui ait rien demandé, elle chanta la comptine. Tout de suite, Guillaume la reconnut :

                -Oui, c’est bien celle-là ! Quand je pense que tous les gens à qui j’en ai parler croyaient que je l’avais inventée. Je suis bien heureux de constater que ce n’est pas le cas !

                -C’est aussi ma mère qui m’a appris cette chanson. Dites-moi, l’interrogea-t-elle en changeant de sujet, où avez-vous grandi ?

                Ils parlèrent ainsi de leur enfance pendant tout le trajet, ce qui leur permit de mieux se connaître. Avignant avait grandi à Paris. Sa mère était institutrice et son père avocat. Il était fils unique mais été resté très proches de ses deux cousines, chez qui il passait souvent ses vacances, en Normandie. Il avait été un enfant plutôt dissipé et qui avait besoin de se dépenser. Il avait donc fait, entre autres, du karaté, de la natation et du tennis. En revanche il avait toujours détesté le football, même s'il y jouait avec ses copains après les cours. Cours qu'il avait d'ailleurs du mal à suivre car il ne tenait pas en place. Agathe, quant à elle, avait passé toute son enfance en province, dans un petit village de Savoie. Calme et sérieuse à l'école, elle avait toujours été très protectrice envers son grand frère, Jean-Paul, plus turbulent. Son père travaillait à Lyon et elle ne le voyait que le week-end. Sa mère gardait des enfants à domicile, Agathe avait donc vécu dans une ambiance festive, ce qui n'avait pourtant pas modifié son naturel tranquille. Dès le lycée, elle avait dû quitter le domicile familial pour un internat à Annecy, ce qui avait forgé son caractère indépendant. Alors quand il lui avait fallu monter à Paris pour trouver du travail, elle n'avait pas eu peur. Guillaume gara sa voiture dans la rue de la journaliste. Elle l’invita, comme prévu, à boire un verre. Ils franchirent la porte du studio en riant des bêtises qu’ils avaient faites étant petits. Le comédien survola l’unique pièce du regard. A gauche de l’entrée, le coin cuisine. A demi dissimulé par le petit réfrigérateur, il distingua l’accès à la salle de bain et aux toilettes. Dans l’angle, collé au mur du fond, il y avait un bureau avec un ordinateur et une tablette tactile. Il repéra aussi un magnétophone. Au centre de ce mur s'ouvrait l'unique fenêtre au-dessous de laquelle se trouvait un radiateur. A droite, au fond de la pièce, il aperçut un canapé qui semblait pouvoir se déplier pour devenir un lit. Il y avait ensuite sur le mur en face de la salle de bain une bibliothèque bien garnie. Le coin près de l’entrée servait quant à lui de dressing. Au centre, une table ronde avec un dessus en verre, et quatre chaises. L’endroit n’était pas grand mais confortable et bien équipé.

                -Vous m’avait l’air d’être bien installée, commenta-t-il. Depuis combien de temps logez-vous ici ?

                -Depuis mon arrivée à Paris, il y a quatre ans, pour mes études. Donnez-moi votre veste, je vais l’accrocher au portemanteau. Asseyez-vous, je vous en prie.

                Guillaume lui tendit son blouson en la remerciant et prit place sur l’une des chaises autour de la table.

                -Que voulez-vous boire ? lui demanda-t-elle. Je regrette, je n’ai pas grand-chose à vous proposer. Je peux vous servir du thé, du jus de pomme ou de l’eau.

                -La même chose que vous, s’il vous plaît.

                -Jus de pomme dans ce cas, lui indiqua-t-elle en se penchant pour récupérer la bouteille dans le réfrigérateur.

                -Cela me convient, merci.

                Agathe posa les verres sur la table et versa le liquide à l’intérieur. Puis elle s’assit en face de son invité.

                -Santé, lui souhaita-t-elle en soulevant son verre.

                -Santé, répondit Guillaume en faisant tinter le sien contre celui d’Agathe.

                Ils burent chacun une gorgée.

                -Habitez-vous à Paris ? l’interrogea la journaliste qui ne voulait pourtant pas se comporter comme telle.

                -J’ai un appartement dans le XVIème, confirma-t-il.

                Agathe vit qu’il cherchait en vain un sujet de conversation, comme s’il ne souhaitait pas étendre ses richesses sous le nez de la jeune femme. Elle savait qu’il possédait un grand appartement, ce qui n’était pas le cas d’Agathe et pourtant, elle n’avait pas honte et acceptait de le recevoir, il devait s’en sentir gêné. Elle soupçonna sans difficulté son malaise et tenta de le lui épargner.

                -Aimez-vous les animaux de compagnie ? Personnellement, j’aimerais beaucoup avoir un chien mais même un chihuahua se trouverait à l’étroit ici, et je n’ai en plus, pas vraiment le temps de m’en occuper.

                -J’ai un chien, lui apprit-il. Un caniche blanc âgé de neuf ans. C’est une femelle du nom de Chantilly.

                -Neuf ans ! s’exclama-t-elle. Elle est plutôt vieille, sans vouloir vous offenser.

                -Non, vous avez raison, elle a déjà bien vécu mais j’espère qu’elle m’accompagnera pendant quelques années encore.

                Ils bavardèrent jusqu’à tard dans la nuit, s’interrogeant mutuellement sur leurs vies, ils en apprirent beaucoup l’un sur l’autre et se découvrirent des points communs. Tous deux étaient d’un naturel assez timide mais le combattaient de façons différentes : elle voulait  rester discrète mais n’hésitait pas à prendre la parole et agir quand il le fallait et lui cherchait attirer l’attention des autres pour compenser son manque d’assurance. Ils avaient chacun un ami qui leur était très proche : Thomas Robson pour Guillaume, Maria Nanty, une amie d’enfance, pour Agathe. Mais ils étaient tout de même assez différents l’un de l’autre : il aimait être le centre d’attention, elle préférait observer, elle avait une mémoire impressionnante et lui ne pouvait vivre sans post-it, elle était assez méfiante alors qu’il se confiait facilement, il aimait beaucoup parler et faire le pitre et elle écoutait avec plaisir. En somme, ils se complétaient. Guillaume quitta son hôte vers une heure du matin, après lui avoir fait promettre sur le ton de la plaisanterie qu’elle n’écrirait pas d’article sur ce dont ils venaient de parler.

                L’atterrissage de l’avion à proximité de Moscou tira brutalement Agathe de sa rêverie. A peine l’appareil avait-il ouvert ses portes qu’un jeune homme entouré de deux gardes du corps monta à bord. Tandis qu’il déposait les sacs dont il était chargé dans une caisse derrière les fauteuils de Livingstone et Dusch, la journaliste l’étudia. Maigre, il  semblait n’avoir que la peau sur les os. Ses longs cheveux roux en bataille laissaient soupçonner un âge à peine moins avancé que la jeune femme. De fines lunettes à monture carrée reposaient sur son nez retroussé, encadrant parfaitement ses yeux bleus aux reflets sombres et froids. Agathe constata à l’aspect négligé de ses vêtements qu’il ne prenait guère soin de son apparence et elle supposa pour cette raison que sa vie sociale devait être quasiment inexistante. Elle ne se trompait pas. L’homme qu’elle observait se présenta comme étant un certain Lyov Ivannovsky, programmeur informatique de génie au lourd casier judiciaire. Il avait été condamné à plusieurs reprises pour piratage de sites gouvernementaux et il voyait dans cette mission une chance unique de se racheter aux yeux du monde bien qu’il ne regrettât pas un instant ce qu’il avait fait.

                Le reste du voyage se déroula dans le calme le plus total. George dormait paisiblement, comme si la situation ne l’inquiétait pas, Lyov ne quittait pas son ordinateur même si la connexion Internet avait dû être interrompue, Lena rêvassait devant une photographie représentant son fils et Agathe s’initiait à la médecine en allemand au moyen d’un livre prêté par sa nouvelle collègue germanique.

                L’avion se posa à Vladivostok vers 9h00, heure locale, le lendemain. Les quatre Européens furent conduits dans un hôtel pour qu’ils puissent se reposer.


  • Commentaires

    1
    Camille.HK
    Lundi 20 Juin 2016 à 18:22

    "Le reste du voyage se déroula dans le calme le plus total. George dormait paisiblement, comme si la situation de l’inquiétait pas,"

    Faute de frappe signalée !

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    2
    Lundi 20 Juin 2016 à 20:58

    Merci beaucoup !

    Et, de manière générale, merci beaucoup pour tous tes commentaires, ça me fait plaisir et c'est très utile ! ^^

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