• Le dormeur du train

                Il s’appelle peut-être Arthur. La seule chose de certaine est qu’il dort, ou du moins qu’il somnole. Il est monté dans le TGV quand celui-ci s’est arrêté dans une grande ville, en même temps que d’autres hommes bien habillés. Ils vont tous à Paris, certainement pour le travail. Notre Arthur, lui, après avoir redressé son siège en donnant un coup avec ses deux genoux dedans, s’est assis, et s’est endormi presque immédiatement. Il a posé dans le filet au dos du siège devant lui un livre de Patrick Modiano : De si braves garçons. Quel intérêt de prendre un livre dans le train si c’est pour dormir devant ? Le personnage sur la couverture le dévisage avec son unique œil non dissimulé par le filet.

                Arthur a donc la quarantaine bien tassée. Il porte une veste en tissu bleue marine, sa chemise blanche, en dessous, est en grande partie cachée par l’imposant foulard d’un blanc immaculé qui encercle son cou et fait des frous-frous sur sa poitrine rappelant un peu la façon dont s’habillaient les aristocrates au siècle des Lumières. Ceinture en cuir brun foncée, pantalon en tissu brun clair et chaussures recouvertes de velours brun crème. Une belle déclinaison de couleur. La touche finale est apportée par un mouchoir en tissu satiné correctement plié qui dessine un rectangle de deux millimètres de largueur dépassant de la poche de sa veste, celle qui est placée au niveau du cœur. Ces cheveux grisonnants devaient être autrefois châtains et quand à sa barbe d’un jour ou deux, on voit qu’il s’en occupe bien. De toute évidence, Arthur fait très attention à son allure générale, il veut faire bonne impression, peut-être même séduire. Mais il a l’air d’un homme cruel.

                Si on regarde plus attentivement ses vêtements, on s’aperçoit d’abord que la semelle de ses chaussures est usée au niveau du talons, puis que les quatre boutons de manchettes de sa veste, recouverts de velours sombres, sont élimés. Ce sont de toute évidence des vêtements qu’il porte souvent. Quand à son visage aux yeux fermés, aux cils courts incroyablement réguliers, il a l’air paisible même s’il est par moment secoué, lorsque la tête tombe sur son épaule et qu’il la redresse habilement. Parfois, ses paupières tremblent, comme s’il rêvait, et ses lèvres bougent, comme s’il embrassait quelqu’un. Une femme sans doute, une femme qu’il aime vraiment et qui l’aime en retour. Tant que ses yeux restent clos, la rêverie peut se poursuivre, il semble presque sympathique. Mais lorsqu’il a ouvert les yeux, c’est devenu évident, l’intuition était bonne, il a l’air cruel. Il séduit et abandonne, il a fait ça toute sa vie, pourquoi ne pas continuer ? Il reprend son attaché-case au moment où le train entre en gare, récupère une valise sur la plate-forme entre-deux wagons puis s’éloigne sur le quai.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 19:31

    J'adore ! Je t'avouerais que j'ai la facheuse manie d'essayer d'imaginer la vie des gens que je croise dans la rue ou dans les transports en commun, alors ton récit m'a fait sourire et je le trouve très bien écrit. 

    Xx

    2
    Mardi 2 Août 2016 à 21:41

    Merci beaucoup ! ça me fait très plaisir ! ^^

    3
    Mardi 11 Octobre 2016 à 14:36

    Bonjour

    Alors moi, je suis...! Je plaisante, mais j'aime les balades dans Paris et vos descriptions, ... Je lis maintenant vos nouvelles...

    Amicalement

      • Mardi 11 Octobre 2016 à 16:08

        Merci pour votre commentaire, je suis bien contente que mes textes vous plaisent !

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