•             Dans la salle de répétition, Guillaume et Thomas rejouaient l’une des scènes de leur pièce pour la quatrième fois d’affilée. Et inlassablement, Robson demandait à son camarade de se concentrer mais ce dernier prêtait une oreille bien plus attentive aux paroles du présentateur radio qu’aux répliques de son ami. Thomas le connaissait, il savait qu’il n’obtiendrait rien de Guillaume tant que celui-ci n’aurait pas entendu ce qu’il voulait. Voilà deux jours qu’Avignant ne quittait pas son poste de radio, attendant des informations concernant l’intervention des Nord Coréens qui devaient arrêter Hatori Honda et renvoyer en Russie les cinq membres de la mission secrète menée par les occidentaux.

                Thomas finit par s’asseoir et, comme son camarade, écouta attentivement les paroles du présentateur. Ce dernier parlait pour la énième fois de l’incendie qui ravageait les forêts du Var. Des habitations avaient dû être évacuées à cause des flammes. Il aborda ensuite les thèmes récurrents du taux chômage qui ne cessait d’augmenter et de l’âge de départ à la retraite qui risquait d’être encore repoussé.

                -Pour terminer cette édition, conclut-il, je laisse la parole à notre correspondant en Russie. Déclaration enregistrée il y a quelques minutes à peine.

                -Du nouveau dans l’affaire Honda, débita une voix différente. Les équipes nord coréenne sont parvenues au quartier général du terroriste dans la journée d’hier. D’après nos informations, ils auraient trouvé de nombreux cadavres dont celui d’Hatori Honda. Il aurait été tué par balle. Apparemment, l’équipe d’intervention envoyée par les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, l’Angleterre et la Russie serait arrivée sur place avant eux. Il semblerait que seul l’un de ses membres soit encore en vie à l’heure actuelle. Nous ignorons encore son identité.

                -C’est la fin de ce journal, reprit le présentateur. Je vous laisse avec l’émission culinaire de Madeleine Portier.

                Dans la salle de répétition, Guillaume accueillit cette annonce comme il l’aurait fait pour un coup de poing dans la poitrine : il eut un mouvement de recul et sa respiration se bloqua l’espace d’une seconde. Il inspira soudainement une grande goulée d’air comme s’il était resté en apnée de longues minutes. Ressentant sans peine la détresse de son camarade, Thomas s’efforça de le calmer :

                -Ne t’inquiète pas, ça ne peut être qu’Agathe.

                -Ils étaient cinq, articula Guillaume.

                -Ce qui fait une chance sur cinq. Vingt pour cent de chance que ce soit elle.

                -C’est horrible pour les quatre autres, ce que tu viens de dire, fit remarquer Avignant.

                -Je sais bien mais leurs proches souhaitent eux aussi voir revenir celui qu’ils connaissent.

                -Justement, pourquoi Agathe serait-elle la seule survivante ?

                -Il faut bien que ce soit quelqu’un, hasarda Thomas.

                -Oui. Et il est quatre fois plus probable que ce soit quelqu’un d’autre.

                -Cette conversation ne mène à rien, Guillaume, soupira-t-il. Il est inutile de calculer. Tout ce que nous devons faire, c’est attendre.

                -Attendre quoi ? demanda l’acteur, hébété.

                -Que les médias nous donnent un nom. On ne peut rien faire d’autre, Guy, expliqua-t-il. Je suis désolé.

                Guillaume ne répondit pas. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Il y a quelques jours, il ignorait si Agathe pourrait revenir en vie. Lorsque la télévision avait annoncé par la suite que les occidentaux seraient reconduits à la frontière russe par les Coréens, pas une seule seconde il n’avait pensé qu’elle ne ferait pas partie du voyage et il la voyait déjà de retour à Paris. Mais à présent, il était de nouveau plongé dans le doute et l’angoisse. Je t’en prie, Agathe, dis-moi que tu es en vie, espéra-t-il en prenant sa tête entre ses mains.


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  •             Tout était blanc. Tout était flou. Tout semblait lointain. Lorsqu’elle revint à elle, Agathe ne savait pas où elle se trouvait. Dans un sursaut, elle tenta de se redresser. Des mains plaquèrent aussitôt ses épaules contre le lit. Une voix masculine parla dans une langue qu’elle ne connaissait pas. Elle se débattit jusqu’à ce qu’une femme prenne la parole dans un très mauvais anglais.

                -Pas de panique, mademoiselle, ici, c’est l’hôpital de Vladivostok.

                -Hôpital, répéta Agathe, la gorge sèche.

                -Oui, c’est ça, répondit la voix. Vous vous souvenez de votre jambe ?

                Trop bien justement. Elle se souvenait de tous les détails. Les coups de feu, l’homme blessé dans le cachot, l’accident de moto, la douleur, l’agonie de George. Tout lui revenait. L’horreur des scènes qui se jouaient devant ses yeux la fit se débattre à nouveau. Les infirmiers lui administrèrent un sédatif pour la calmer et elle replongea dans les ténèbres.


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