• JtlP.7 : Appartement de Guillaume Avignant, Paris Le 9 avril, 15h05

    Un chapitre un peu long mais courage, c'est du lourd ! Vous allez découvrir l'ex de Guillaume et, promis, ça vaut le détour ! Bonne lecture ! Et n'hésitez surtout pas à laisser un commentaire !

    Je vous laisse avec une citation de Beaumarchais qui correspond bien à l'humeur de nos petits camarades dans le flash-back du jour : "En faveur du badinage, faîtes grâce à la raison !"

     

     

     

                -C’est pour cela que je ne peux plus lui faire confiance. Qu’en penses-tu ? Qu’en penses-tu ? insista Thomas Robson. Guillaume ! Bon sang ! Concentre-toi sur ton texte !

                -Je… Oui, désolé, murmura l’acteur en se secouant la tête comme pour mieux mettre un terme au fil de ses pensées. Où en étais-tu ?

                -Guy, soupira Thomas, mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? Voilà deux jours que tu es incapable de te concentrer plus d’un quart d’heure sur une scène ! Finiras-tu par me dire ce qu’il se passe ?

                -Tout va bien, Thomas, tu t’inquiètes pour rien. Il faut que je boive quelque chose, ajouta-t-il en se dirigeant vers la porte.

                -Ta bouteille d’eau est là, lui indiqua Robson en désignant le récipient posé sur une chaise.

                -Non, pas de l’eau.

                Guillaume quitta la pièce qui leur servait pour répéter et remonta le couloir en direction du salon, qu’il traversa. Il contourna le bar qui donnait dans sa cuisine, ainsi que l’îlot central de celle-ci et ouvrit un placard. Thomas le rejoignit tandis qu’il versait du whisky dans un verre.

                -Depuis quand tu bois ça, toi ? s’étonna-t-il.

                -J’ai besoin de quelque chose de fort.

                -Et bien évite d’en abuser, d’accord ? Que dirait Agathe si elle te voyait ?

                -Ne me parle pas d’elle, grommela Guillaume en avalant son verre d’un trait.

                -Tiens donc ! Et pourquoi ça ? Vous vous êtes disputés ?

                -Je t’ai dit de ne pas me parler d’elle ! s’énerva-t-il.

                -C’est bon, ça va ! le tempéra son ami. Tu m’as vraiment l’air sur une autre planète en ce moment. Ce qu’on va faire, c’est que je vais rentrer chez moi. Tu vas prendre l’après-midi pour te reposer. On reprend les répétitions demain et je veux que tout soit parfait, comme tu sais si bien le faire d’habitude.  Tu es d’accord ?

                -Si ça peut te faire plaisir, soupira Avignant.

                -Oui, ça me fait plaisir, confirma Thomas en ramassant ses affaires qui traînaient sur la table. Bon, à demain ! Oublie cette bouteille d’alcool et  repose-toi, entendu ?

                -J’y veillerais, répondit Guillaume d’une voix lasse tandis que Thomas quittait l’appartement.

                Le comédien se laissa tomber sur le canapé en cuir blanc de son salon en soupirant. Il n’avait pas parlé de la Corée du Nord à son camarade, ce dernier ne pouvait donc pas comprendre pourquoi il s’inquiétait tant. Voilà deux jours qu’Agathe était partie et il savait qu’il risquait de ne plus avoir de nouvelles jusqu’à ce que la réussite de la mission ou la mort de la jeune femme ne soit annoncée. Devant elle, il avait gardé son calme mais à présent qu’elle ne pouvait plus le voir, il se laissait un peu aller. Qu’aurait-elle pensé de lui si elle l’avait vu pleurer ? Elle aurait trouvé cela ridicule et cela l’aurait inquiétée. Il continuait à croire qu’il avait bien fait de cacher son angoisse même s’il savait que la jeune femme n’était pas dupe. La pensée qu’elle s’inquiète en ce moment plus pour lui que pour elle lui arracha un sourire car, telle qu’il la connaissait, c’était probablement le cas.

                Après leur première rencontre, ils s’étaient revus de nombreuses fois. Lui devait sortir de chez lui en cachette, tel un enfant préparant un mauvais tour, pour qu’Emilie Decône, avec qui il vivait à cette époque, ne se doutât de rien. A présent qu’il y repensait, il se demanda pourquoi il se donnait tant de mal pour lui dissimuler ses fréquentes rencontres avec la femme la plus fantastique qu’il connaisse alors qu’Emilie ne se gênait pas pour lui faire savoir qu’elle couchait avec un autre homme. Le soir, elle s’endormait près de lui et le matin, elle n’était plus là.

                Une fois, par une froide matinée de novembre, Guillaume s’était réveillé à trois heures du matin avec un mal au ventre. Fichus poivrons, pensa-t-il. Il se leva, remarquant au passage qu’Emilie n’était plus allongée sur le lit. Il ouvrit la porte de la chambre, qui donnait directement dans le salon. Il rejoignit la cuisine et entreprit de se faire chauffer de l’eau afin de se préparer une tisane. Il en profita pour regarder sur son téléphone portable s’il n’avait pas de messages non lus. A sa grande surprise, il constata qu’Agathe l’avait appelé à 02h40 ce matin et lui avait laissé un message vocal. Il appela donc sa messagerie. La femme électronique lui appris de sa voix hachurée :

                -Vous avez…huit…nouveaux messages… Message reçu… hier à… 9h52.

                Guillaume écouta ensuite la voix d’Emilie qui lui expliquait pourquoi elle ne rentrerait pas avant la fin de la journée. Il savait que ce n’était qu’une excuse pour voir un autre homme, aussi, murmura-t-il dans le combiné :

                -Supprimer.

                -Vous avez demandé la suppression des messages… Pour confirmer dites…oui, pour annuler dites… non.

                -Oui.

                -Messages supprimés… Fin des messages.

                -Pardon ? s’étonna Guillaume.

                -Réponse incomprise.

                Il ignora la voix électronique et tenta de comprendre pourquoi ses huit messages, et donc celui d’Agathe, avaient été effacés. Il se souvint alors : la voix avait précisé suppression DES messages. Il étouffa un juron. Il tenta pendant de longues minutes de récupérer les données effacées mais n’y parvint pas. Alors qu’il s’apprêtait à jeter son téléphone par terre, il entendit un bruit qui ressemblait à celui de bulles en train d’éclater. Il coupa en vitesse la communication, posa l’appareil sur le bar et éteignit le feu sous la casserole. Il ne s’était pas trompé. L’eau avait commencée à bouillir. Il la retira de la plaque chauffante, la déposa près de l’évier et y jeta un sachet de verveine. Il en profita pour réfléchir un instant. Si Agathe s’était permise de l’appeler à presque trois heures du matin, c’était sans doute qu’elle ne pouvait pas attendre le lendemain. Le message avait été laissé il y avait à peine plus de vingt minutes. Il décida donc de rappeler la jeune femme, espérant qu’elle ne s’était pas recouchée. Ses efforts furent vains car Agathe avait éteint son téléphone. En soupirant, il se résigna à verser l’eau dans une tasse et y ajouta deux morceaux de sucre. Il s’installa sur son canapé et alluma la télévision. Il regarda une de ces émissions sur la chasse et la pêche comme les chaînes en diffusent parfois, tôt le matin.

                Cette nuit-là, Guillaume ne se recoucha pas. Il traîna toute la matinée, attendant la venue de Michèle Jacob et Henry Lantier avec qui il devait répéter, car le metteur en scène avait décider de faire quelques modifications pour la pièce Mon cher mari cocu, bien que les représentations finissent dans un mois. Toutes les personnes avec qui Guillaume travaillait aimaient venir répéter chez lui car une pièce avait été aménagée dans l’appartement. Elle contenait tout le matériel nécessaire pour filmer une scène afin que les acteurs puissent la visionner et constater quels éléments dans leur jeu devaient être modifiés.

                Emilie rentra à 9h30. Elle déposa sa veste sur le portemanteau et vint saluer Guillaume comme si de rien n’était.

                -Tu arrives tôt, aujourd’hui, se moqua celui-ci.

                -Si je suis rentrée maintenant, lui apprit-elle, c’est parce que j’ai une interview ce matin. Un journaliste va venir ici, je t’ai envoyé un message vocal hier après-midi pour te prévenir.

                -Hier ? C'est pour ça que je ne suis pas au courant, répondit-il en bâillant.

                -Ils étaient censés m’envoyer un journaliste que j’avais déjà rencontré mais il n’a pas pu venir. Pour le remplacer, ils envoient un de ces collègues, spécialisé dans la politique. Tu ne peux pas t’imaginer comme cela m’énerve ! s’exaspéra-t-elle.

                -Un journaliste politique ? répéta Guillaume, un peu surpris. Un ?

                -Oui, je viens de te le dire !

                La sonnette de l'appartement retentit. Guillaume s’empressa d’aller ouvrir. Il s’agissait d’Henry Lantier. Ils se saluèrent.

                -Je ne dérange pas, j’espère ? s’inquiéta Henry. J’arrive un peu tôt, ce n’est pas dans mes habitudes.

                -C’est vrai, la ponctualité et toi, ça a toujours fait deux, mais non, tu ne déranges pas, sourit Guillaume. Installe-toi, je vais faire du café, en attendant Michèle.

                -Tu ne m’avais pas dis qu’Henry était censé venir, fit remarquer Emilie à son compagnon en le rejoignant dans la cuisine.

                -Désolé, je ne savais pas qu’il fallait que je te prévienne quand j’invite un ami chez moi, répliqua-t-il, sarcastique.

                -Chez toi ? répéta-t-elle. Alors tu ne considères pas que c’est aussi chez moi ?

                -Pas vraiment. En temps normal, les gens dorment chez eux, répondit-il en élevant la voix pour s’assurer que Lantier entende et ainsi mettre Emilie mal à l’aise.

                Il n’en fut rien. Cette dernière préféra le regarder de haut avant de lancer en tournant les talons :

                -Tu es de bien mauvaise humeur, aujourd’hui. Tu es sûr que ça va ?

                -Oui, affirma-t-il avec un mouvement de tête appuyé et une moue qui suggérait le contraire.

                -C’est bien ce que je disais ! intervint Lantier, triomphant. Je dérange ! Vous êtes en pleine scène de ménage !

                -Pas du tout, voyons, le rassura en souriant Emilie. Tiens, on sonne à la porte !

                -Ce doit être Michèle, signala Avignant. Tant pis pour le café.

                Il se dirigea vers l’entrée mais Emilie fut plus rapide et ouvrit avant lui.

                -Mme Jacob ! s’exclama-t-elle. Quel plaisir de vous voir !

                -Emilie ! répondit Michèle sur le même ton enjoué, l’ironie en moins. Voyez qui j’amène ! Notre journaliste préférée !

                Avant de l’avoir aperçue, le sang de Guillaume se glaça dans ses veines et il comprit pourquoi elle l’avait appelé à trois heures du matin.

                -Mlle Rousseau, la reconnut Lantier. Voilà un moment que nous ne nous étions pas revus. Comment allez-vous ?

                -Très bien, je vous remercie, répondit Agathe.

                -Vous la connaissez ? demanda Emilie à Henry.

                -Nous la connaissons tous les trois, lui apprit innocemment Michèle. Elle est venue voir notre pièce plusieurs fois.

                -Vraiment ? s'étonna Mlle Decône. Elle est si intéressante que ça, cette pièce ?

                -Oui, elle est très réussie, répondit Agathe du tac au tac. Un petit chef d’œuvre poétique au milieu de ces comédies que l'on à l'habitude de voir au théâtre.

                -Je ne veux pas le savoir, la coupa l'ancienne miss France car un autre détail avait retenue son attention. Puisque tu la connais, Guillaume, comment se fait-il que tu ne la salues pas ?

                -Emilie, gronda-t-il en tendant la main vers Agathe car il ne supportait pas qu'elle lui dise quoi faire. Heureux de vous revoir, Mlle Rousseau.

                -De même, répondit cette dernière en lui serrant la main.

    Pendant ce court instant, leurs regards se croisèrent. Celui d'Agathe semblait désolé. Pas autant que moi, répondit intérieurement Guillaume. L'idée de devoir laisser la journaliste seule avec cette vipère d'Emilie ne lui plaisait en effet pas du tout.

                -Bien, conclut Lantier. Nous avons du travail, alors exilons-nous dans une autre pièce.

                -Excellente suggestion, l'appuya Jacob en lui emboîtant le pas en direction du couloir.

                Avignant fut malgré lui forcé de suivre les deux autres. Il jeta un dernier regard à Agathe tandis qu’Emilie la faisait asseoir. Il claqua la porte de la salle de répétition derrière lui en soupirant :

                -Quel cauchemar.

                -Il y a un problème ? lui demanda Michèle qui sortait les feuilles avec son texte de son sac.

                -Rien, ce n'est pas grave, la rassura Guillaume.

                -Tout va bien ? insista Henry.

                -Mais oui, j'ai juste très mal dormi.

                -Agathe t'avait dit qu'elle viendrait aujourd'hui ? lui demanda l'actrice en espérant changer les idées à son camarade.

                -Disons qu'elle a essayé, soupira Guillaume. Elle m'a laissé un message sur mon répondeur mais je n'ai pas pu l'écouter.

                -Alors tu n'as sans doute pas eu le mien non plus, se découragea Lantier. Pourtant j'avais mis je ne sais combien de temps pour tenter de t'expliquer ce qui ne va pas avec la scène 6.

                -Désolé, mais je crois que tu vas devoir recommencer de vive voix, s'excusa Guillaume en faisant un effort pour se concentrer.

                Henry et lui retravaillèrent un long moment sur la nouvelle mise en scène tandis que Jacob répétait seule le monologue avec lequel la pièce débutait. Malgré ses tentatives pour paraître intéressé par ce que lui disait Henry, Guillaume avait l’esprit ailleurs. Il était effectivement occupé à imaginer ce qui pouvait se passer dans le salon. Il craignait qu'Emilie ne mette Agathe mal à l'aise. L'ancienne miss était la personne la plus hypocrite qu’il connaissait, il était bien difficile de lui tenir tête lorsque l’on n’en avait pas l’habitude. De surcroît, la jeune femme savait se montrer hautaine et il n'était pas certain qu'Agathe sache comment réagir. Sans doute s'inquiétait-il trop mais il ne pouvait empêcher son imagination de s'emballer. Si ça se trouve, Emilie allait s'amuser à brosser de lui un portrait peu flatteur afin de s'assurer qu’Agathe et lui n’aient aucune chance d’avoir un relation de couple un jour ! J’aurais dû la larguer depuis des lustres, s’exaspéra-t-il. C'en était trop. Il ne pouvait pas rester plus longtemps dans cette salle à se morfondre alors qu'Agathe se faisait peut-être en ce moment même écraser pas l'ego surdimensionné d'Emilie. Prétextant vouloir récupérer une bouteille d'eau dans la cuisine, Il quitta Michèle et Henry.

                Il avança dans le couloir à pas feutrés, et s'arrêta juste avant l'entrée du salon. Il se colla contre le mur, afin que les jeunes femmes, assises de part et d'autre de la grande table de bois, ne puissent pas le voir. Il écouta en silence la conversation.

                -J'ai ainsi pu obtenir le premier rôle de ce film, terminait justement Emilie.

                -Autre question, enchaîna Agathe avec un calme très professionnel. Que conseillez-vous aux jeunes filles qui, comme vous, souhaitent débuter une carrière au cinéma ?

                -Tout d'abord, je leur conseille de toujours croire en leur rêve, c'est important. Elles doivent aussi se donner les moyens de réussir. Rencontrer les bonnes personnes aux bons moments peu notamment être utile.

                Guillaume leva les yeux au ciel d'un air excédé. Les bonnes personnes. Aux bons moments. Il savait que c'était lui qui lui avait obtenu son premier grand rôle au cinéma, il y a cinq ans. Cela lui avait permis de se faire connaître en tant qu'actrice et de participer à d'autres films même s'il fallait reconnaître que son talent, de l'avis de Guillaume, était assez limité. Si Thomas Robson ne lui avait pas présenté Emilie, quelques semaines avant le début du tournage, et s'ils n'étaient pas sortis ensemble, jamais elle n'aurait eu le rôle. Puisqu’il comprenait à présent qu’elle ne l’aimait guère, il en déduisit qu’elle s'était volontairement servie de lui. Il réprima un grondement. Il fut soulager d'entendre Agathe répondre :

                -Vous voulez bien sûr parler de M. Avignant, qui vous a permis de jouer dans ce fameux film dont on se rappelle tous, il y a de cela cinq années.

                -C'est en effet à cela que je faisais référence, reconnut Mlle Decône avant d'ajouter : Guillaume est un homme absolument merveilleux, j'ai beaucoup de chance de vivre avec lui.

                Ben voyons ! pensa-t-il. Complimente-moi, afin que je ne trouve rien à redire si je lisais cette maudite interview. Guillaume ne supportait vraiment plus l’ancienne miss. Comment faisait-il pour vivre avec elle depuis cinq ans ? Il y en assez, décida-t-il. Je vais lui dire de faire ses valises et de partir dès aujourd’hui, Elle dort où elle veut, ce n’est pas mon problème. Le comédien entendit alors la voix d'Agathe rétorquer avec un air sarcastique qu'il ne lui connaissait pas :

                -Vous avez sans doute raison. Vous le trompez, il le sait et pourtant, il le prend bien, c'est plutôt pratique n'est-ce pas ?

                -Je vous demande pardon ? articula Emilie, outrée.

                -Voyez-vous, expliqua Agathe avec une tranquillité désarmante, j'ai rencontré, pas plus tard que la semaine dernière, un homme politique, vous savez très bien de qui il s'agit, et il m'a avoué avoir une relation suivie avec vous, depuis plusieurs mois déjà. J'ai mené une petite enquête, et je sais aussi de source sûre que vous rencontrez régulièrement depuis au moins cinq ans, l'acteur qui a tourné ce grand film avec vous. Ce qui vous fait un total d'au mmoins deux liaisons. M. Avignant semble être au courant de l'une d’entre elles et il vous laisse faire. Vous avez raison, c'est un homme absolument merveilleux.

                -Comment osez-vous ? s'énerva Emilie en se levant.

                -Je ne fais que mon métier, madame. Je constate les faits et les analyse de la façon la plus objective possible, répondit Agathe sans hausser le ton.

                -Je vous ordonne de quitter immédiatement mon appartement ! enragea Emilie.

                -Comme vous voudrez, accepta la journaliste avec flegme.

    Elle se levait lorsque, n'y tenant plus, Guillaume fit son apparition dans la pièce. Son visage était devenu rouge, mais il parla d'une voix posée :

                -Non Agathe, vous n'avez pas à faire ce qu'elle vous demande. Cette femme n'est plus ici chez elle.

                -Pardon ? s'exclama Emilie, qui ne s'y attendait pas du tout.

                -Tu as bien entendu. C'est mon appartement, je l'ai acheté et tu y vivais sans payer de loyer, ajouta-t-il sur un ton cynique, je peux donc te mettre à la porte quand bon me semble.

                -Non mais tu plaisantes ?

             -Cette comédie a assez durée, Emilie. Tu ne m’as jamais aimé. Tu as plus qu'abusé de mon hospitalité ces dernières années. Tu t'es servie de moi pour lancer ta carrière comme tu t'es certainement servie d'un autre pour tourner dans d’autres films ensuite, et il est plus que probable que tu continueras à agir ainsi le reste de ta vie. Maintenant, tu vas me faire le plaisir de mettre tes affaires dans une valise, et tu vas t'en aller sur le champ.

                La jeune femme en était restée bouche bée. Elle fixait Avignant d'un air hébété car elle ne le pensait pas capable de la mettre ainsi à la porte. En plus, il la regardait avec mépris. Il était vraiment soulagé de ce qu'il venait de lui dire. Il jeta un léger coup d'œil en direction d'Agathe, qui regardait le sol d'un air gêné. Elle devait croire que c'était à cause d'elle qu'Emilie était rejeté par Avignant alors celui-ci ajouta, surtout pour la rassurer :

                -Cela faisait longtemps que j'envisageais de mettre un terme à notre relation. Je regrette vraiment de ne pas l'avoir fait plutôt.

                -Très bien, accepta Emilie en se drapant dans ce qu’il lui restait de dignité. Je vais chercher mes affaires.

                Elle disparut dans la chambre au moment où Henry et Michèle faisaient leur entrée dans le salon.

                -Tu en mets du temps pour prendre une bouteille d'eau, le sermonna Lantier avant de se reprendre : que signifie cet air satisfait ? Avons-nous raté quelque chose ?

                -La mise à la porte d'Emilie, répondit nonchalamment Guillaume et se dirigeant vers la cuisine. C'est vrai que je voulais boire. Qui veut un verre d'eau ?

                Agathe toussa, comme pour se redonner de la contenance tant elle ne s'attendait pas à un changement de sujet aussi radical. Même Michèle, qui était pourtant toujours de bonne humeur, ne trouva rien à répondre. Seul Henry, s'assit à la table et accepta :

                -Puisque tu n'as pas l'air de le prendre mal. Je veux bien un verre moi aussi.

                -D'accord. Mesdames ? demanda Guillaume en leur adressant un regard.

                -Pourquoi pas, répondit Jacob en prenant place en face de Lantier.

                -Agathe ? insista Avignant.

                Cette dernière se contenta de hocher la tête en signe d'approbation et s'installa près de Henry.

                Avignant déposa des verres ainsi qu'une bouteille d'eau sur la table et s'assit à côté de Michèle. Il laissa Henry les servir. Il but une gorgée en observant Agathe qui triturait une mèche de cheveux. Elle semblait affreusement embarrassée. A l'évidence, elle pensait vraiment que tout était de sa faute. Aussi, Guillaume préféra-t-il ajouter :

                -Agathe, vous n'y êtes vraiment pour rien, j'avais l'intention de lui demander de partir de toute façon. Ce que vous lui avez dit n'a strictement rien à voir avec ma décision.

                -Je ne regrette pas mes propos, je voulais qu'elle connaisse ma façon de penser, lui assura-t-elle en levant les yeux vers lui. Vous méritez mieux qu'elle.

                Un silence suivit cette déclaration. Guillaume se demanda comment il devait interpréter cette dernière phrase. Y avait-il un sous-entendu ? Il scruta le regard d'Agathe à la recherche d'une réponse mais les yeux bleus de la jeune femme se contentaient de lui renvoyer sa question. Il aurait tant aimé savoir ce qu'elle pensait ! Alors, il la fixa d'un air interrogateur, espérant qu'elle explicite ce qu'elle avait voulu dire mais elle demeura impassible. Il aurait voulut crier, la sommer de s'expliquer ; il n'en fit rien. Il laissa les secondes s'égrainer, comme envoûté par le regard d'Agathe. Henry se racla la gorge :

                -A part ça, qu'est-ce qu'on fait pour la scène 6 ?

                Amusée, Agathe se tourna vers lui tandis que Guillaume fermait un instant les yeux avant de répondre :

                -On fait comme on a prévu tout à l'heure, je pense que ça ira très bien. C'est la dernière scène qui m'inquiète. Comment va-t-on intégrer cette histoire de vase cassé ?

                La conversation se poursuivit joyeusement. Chacun réfléchissait à la nouvelle mise en scène puis exposait ses idées aux autres. Ils rirent autant aux propositions absurdes de Guillaume qui avait décidé de ne pas être sérieux qu’à celles plus raisonnables d’Henry car leur professionnalisme devenait comique dans la bonne ambiance générale. Agathe donnait avec plaisir la réplique à Guillaume lorsque celui-ci, à grand renfort de gestes et d’exagération, jouait certains passages de la pièce en y intégrant tout ce qui l’inspirait, quitte à s’éloigner du scénario original. Michèle se prêtait elle aussi au jeu en caricaturant chacun des personnages si bien qu’Henry, qui avait tenté de rester calme et posé se laissa gagner par la bonne humeur enfantine des autres.

                Finalement, Emilie quitta la chambre avec ses valises et déposa sa clé de l'appartement sur la table. Guillaume préférant l'ignorer, les autres firent de même et son intervention ne parvint pas à jeter un froid sur le salon.

                Guillaume revint à la réalité lorsque Chantilly sauta sur ses genoux et y déposa un os en caoutchouc. Le caniche, particulièrement joueur, ne supportait pas que son maître reste assis à ne rien faire. Guillaume le caressa avec affection. Chantilly avait raison, il ne devait pas se laisser dépérir, ce n'est pas comme ça qu'il aiderait Agathe. Certes, il n'était pas en Corée avec elle mais il pourrait peut-être lui être utile depuis Paris le moment venu. Après tout, il disposait d'informations que le reste de la planète, sauf cinq chefs d'états, ignorait. Il sourit avec détermination. A présent, il se sentait un peu moins inutile. Il se leva, récupéra son blouson et sortit promener son chien.


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