•             Le silence était revenu dans la jeep lorsque celle-ci était sortie de la forêt. La route n’était plus très longue jusqu’à la zone urbaine et George avait demandé à Lyov de désactiver le logiciel brouilleur d’ondes.

                -Vous pensez que nous allons réussir ? demanda timidement Dusch.

                -Bien sûr, assura Michael, à ce stade-là, nous ne pouvons plus douter.

                -Tout à fait d’accord, approuva Livingstone. Maintenant, il va nous falloir rester discrets. Personne ne doit se rendre compte que nous sommes des occidentaux. Lyov mets une casquette et évite de regarder par la fenêtre, Lena, attache un foulard dans tes cheveux, il ne faut pas que l’on s’aperçoive qu’ils sont blonds. Michael et Agathe, lunettes de soleil. Quant à moi, un chapeau fera l’affaire.

                Tous obéirent aux ordres de l’Anglais sans mot dire car c’était tout naturellement qu’il était devenu le chef du petit groupe et les quatre autres ne s’y opposaient pas.

                Ils commencèrent à croiser quelques maisons. Agathe guidait George grâce à la balise et prenait garde à ce que celle-ci ne soit pas visible depuis l’extérieur de la voiture. Entre deux indications données à l’Anglais, elle observait le paysage. S’il correspondait à peu près à l’idée que l’on peut se faire d’une zone urbaine, il s’approchait plus des bidonvilles indiens que des grandes villes américaines. Malgré tout, la population semblait à son aise et, à en juger par les enfants qui jouaient devant leurs maisons, heureuse. Agathe n’avait jamais pensé que la vie nord coréenne puisse ressembler à cela. En fait, elle n’avait rien imaginé du tout. Elle s’était toujours faite à l’idée que, dans un pays aussi fermé que la Corée du Nord, les habitants étaient forcément tristes, accablés. A présent, elle comprenait qu’une population, habituée depuis des générations à vivre de telle ou telle manière, finissait toujours par se satisfaire de son sort, à défaut de trouver l’idéal dont elle rêvait. En réfléchissant, Agathe se dit qu’en bonne française qu’elle était, elle ne serait pas heureuse dans ce pays, aussi, le contraire était très certainement vrai ; un nord coréen arrivant en France serait très certainement nostalgique de son pays natal.

                Plus ils progressaient et s’enfonçait vers le cœur de ce regroupement d’habitations, plus les affiches de propagande se multipliaient. Agathe ne comprenait pas le coréen mais les images parlaient d’elles-mêmes : le visage souriant du dirigeant, le dirigeant entouré d’enfants lui offrant des fleurs, des ouvriers acclamant le dirigeant, des femmes remerciant le dirigeant qui leur offrait des paniers remplis de nourriture ; le portrait du jeune homme à la tête de l’Etat était décliné de mille et une façons, toutes flatteuses et élogieuses.

                Pour avancer dans les rues étroites, la jeep était forcée de faire maints détours, mais Agathe parvenait toujours à diriger George vers le nord-est. Le seul inconvénient à cela était qu’ils perdaient un temps précieux. Ils voulaient s’éloigner au plus vite des habitations, car ils craignaient de se faire interpeller par les autorités. Inlassablement, Livingstone enchaîna les détours jusqu’à presque 14h00. La route s’élargit enfin, et ils se pensaient tirés d’affaire. Ils se trompaient.

                Un bruit de sirène leur parvint de derrière la voiture.

                -Qu’est-ce que c’est ? s’effraya Lena.

                -Je pense que ce sont des policiers, répondit Agathe en regardant dans le rétroviseur. Il y a au moins quatre motos qui nous suivent.

                -Cinq en fait, intervint Lyov. D’après l’image satellite que je reçois sur mon ordinateur, ils sont cinq à notre poursuite.

                -Sur ton ordinateur ? articula Turner. Eteins-le, crétin, c’est à cause de cela qu’ils nous ont repérés.

                -Mon ordinateur ne change rien, c’est la balise qui leur a permis de nous pister, se défendit Ivannovsky.

                -Lyov, Michael a raison, éteins ton ordinateur, le coupa Livingstone. Agathe, tu as une bonne mémoire, je crois ?

                -Oui, confirma-t-elle. Je vois où tu veux en venir. Voilà. J’avais déjà mémorisé un maximum des détails de la route sur la carte et je viens de couper l’alimentation de la balise.

                -Bien. Maintenant, guide-moi sur des routes sinueuses, quitte à s’éloigner de notre trajectoire. Nous devons les semer et ensuite nous partirons vers le fleuve.

                -Pas de problème.

                Pendant ce temps, une motocyclette s’était approchée de la voiture et faisait signe à George de se garer sur le bas côté de la route mais il l’ignora, préférant accélérer. Il suivit les indications d’Agathe à la lettre mais rien n’y fit. Les cinq hommes étaient toujours à leurs trousses.

                -Il faut les surprendre et passer dans des endroits où il leur sera difficile de nous suivre, conseilla Michael.

                -Ils sont en motos, je te signale, maugréa Lyov, ils peuvent nous suivre partout.

                -Michael n’a pas tord, le détrompa George. Agathe, essaie de me faire passer dans des virages serrés. Si je réussis à passer sans ralentir, ils seront tentés de faire de même et tomberont de leur moto.

                -Bonne idée, approuva-t-elle. Prends à droite, il y a un tel virage dans moins de six cents mètres. Accrochez-vous, ça va secouer !

                Effectivement, La voiture parvint en quelques secondes à un virage en épingle à cheveux. George fut forcé de ralentir un peu mais, en faisant déraper la jeep, il parvint à tourner sans perdre trop de vitesse. Lyov se tourna pour observer la réaction des policiers.

                -Deux d’entre eux sont tombés, annonça-t-il, et à mon avis, il ne se relèveront pas pour nous suivre.

                -Encore trois, s’énerva Lena. S’ils ont réussis à nous suivre dans le virage une fois, ils pourront tout à fait le refaire. Il faut trouver autre chose.

                -Une route large, demanda George, Trouve-moi une route large et aussi droite que possible, Agathe.

                -Prends la deuxième à gauche puis tourne à droite, ordonna-t-elle même si elle ne voyait pas du tout où il voulait en venir. Elle est droite sur seulement cinq cents mètres, cela dit.

                -Cela devrait suffire. Nous allons tenter un coup de poker, annonça-t-il.

                Il s’engagea sur la route et positionna la voiture de façon à ce que les motocyclettes se trouvent alignées derrière elle.

                -Préparez-vous à être à nouveau secoués, prévint-il au dernier moment.

                Il lâcha d’un coup la pédale d’accélération et freina aussi brusquement qu’il put. Ce faisant, il effectua un demi-tour et repartit à toute allure dans l’autre sens. Deux autres motos étaient tombées.

                -Je crois que celles-ci ne se relèveront pas du tout, grimaça finalement Turner en se tenant la tête car il s’était cogné au siège de George lorsque ce dernier avait freiné.

                -Comment fait-on pour le dernier policier ? demanda Lyov.

                -Bonne question, commenta Livingstone.

                -S’il a un semblant d’humanité, ce dont je ne doute pas, intervint Lena, il devrait abandonner la poursuite et porter secours à ses collègues.

                -En attendant il se rapproche, les avertit Turner.

                Le policier était arrivé à la hauteur de la fenêtre de George et pointait son arme sur lui.

                -Il va tirer, paniqua Agathe.

                -Accélère ! cria Michael.

                Le temps, que George réagisse et s’éloigne de la moto, son conducteur avait laisser partir le coup de feu. Heureusement, Livingstone ne fut pas toucher et continua sa route.

                -Michael ! hurla Lena.

                Le motard avait fait demi-tour pour rejoindre ses collègues mais la balle avait entièrement détruit la vitre arrière côté conducteur. Le sang coulait abondamment de la plaie béante creusée dans le crâne de Michael.

                -Il est mort, constata calmement le médecin qu’était Dusch.

                Le brutal changement de ton de Lena ajouta à l’effroi de la jeune Française qui n’avait encore jamais vu de cadavre. Le silence s'installa dans l’habitacle. On n'entendait plus que la respiration des quatre survivants.

                -Tout s’est passé si vite, souffla au bout d'un moment Agathe, encore sous le choc.

                -Au moins il n’a pas souffert, murmura Lena.

                -Pauvre Jessica et pauvre Ruth, se désola Lyov en pensant aux deux filles de l’Américain.

                -Agathe, intervint finalement George. Sans rallumer la balise, peux-tu me guider vers le premier fleuve que nous devrons traverser avant d’arriver à destination ?

                Un silence incrédule lui répondit. Ses trois camarades le regardaient sans comprendre.

                -Se lamenter ne le fera pas revenir, se justifia-t-il. Et si nous restons ici, nous subirons le même sort et il sera mort en vain.

                Lena et Lyov échangèrent un furtif coup d’œil stupéfait mais ne firent aucun commentaire sur le comportement de l’Anglais. Agathe indiqua la route à suivre à George, mais elle le faisait mécaniquement, son esprit étant emplie des souvenirs des derniers jours au cours desquels elle avait fait la connaissance de l’Américain et l’avait finalement vu mourir. Personne dans cette voiture ne connaissait suffisamment Michael Turner pour pleurer sa mort mais tous étaient abattus. Contrairement à ce qu’il laissait paraître, Livingstone était aussi abasourdi que les autres face à un décès aussi violent que rapide mais il refusait de le montrer. Il était en quelque sorte le chef de la petite équipe et il  mit sans difficulté ses émotions de côté pour conserver le moral de ses troupes au plus haut niveau possible.

                L’après-midi défila sans qu’aucune autre parole que les directives d’Agathe ne soit prononcée dans le véhicule. Ils parvinrent près du fleuve en fin d’après-midi. Certain qu’ils ne seraient pas poursuivis, George avait volontairement roulé lentement, afin de laisser aux trois autres le temps de reprendre leurs esprits. Pendant de longues minutes, la voiture longea le fleuve à la recherche d’un moyen de le traverser. Lorsqu’ils trouvèrent enfin un pont, c’était pour constater que celui-ci était trop étroit pour laisser passer la jeep. George s’arrêta néanmoins.

                -La voiture ne passera jamais, commenta Lena mais si les trois autres l’avaient déjà remarqué.

                -Je sais, répondit l’Anglais. Nous allons continuer à pied. Maintenant que les autorités savent à quoi ressemble notre véhicule, il serait dangereux de continuer à l’utiliser. Nous ne sommes plus très loin. Puis, entre deux fleuves, le relief devrait être plat. Tu n’auras donc pas de difficulté à nous suivre, Lyov.

                -Que fait-on de la jeep ? Et de Michael ? demanda Agathe.

                -Nous allons dissimuler la voiture en la faisant tomber dans le fleuve. Michael sera à son bord. Prenez vos affaires. Et récupérons ce qui peut être utile dans celles de Michael.

                Lyov et Agathe étaient trop fatigués pour contredire Livingstone et Lena se contenta de les imiter. Ils prirent leur sac à dos respectif et se partagèrent une partie des affaires du Russe qui ne pouvait toujours pas porter un sac trop lourd, ainsi que ce qu’ils jugèrent utile de prendre dans celles de Turner. Puis, George fit avancer la voiture jusqu’au bord de l’eau qui se situait plus bas, au pied d’une pente. Avec l’aide des deux femmes de l’expédition, il poussa la jeep dans la descente. Elle roula sur les quelques mètres qui la séparaient du cimetière qui serait bientôt le sien et celui de Michael Turner. L’automobile fut engloutie par les flots dans un bruit sourd.

                La mort dans l’âme, les quatre survivants franchirent le pont. Comme à son habitude, George marchait en tête et s’efforçait de garder un rythme soutenu afin de s’éloigner au plus vite du fleuve. A la demande de Lena, il fut obligé de ralentir car Lyov ne parvenait pas à suivre. Au bout de deux heures de marche, Livingstone fit signe à la troupe de s’arrêter.

                -Nous allons manger un peu, annonça-t-il, nous devons reprendre des forces.

                Ils s’assirent en cercle  et déballèrent une partie de leurs provisions. George les laissa un instant se restaurer sans dire un mot puis il prit la parole :

                -Sommes nous encore loin du Kumya, Agathe ?

                -Nous devrions l’atteindre dans la journée de demain, répondit celle-ci. Mais si nous avançons encore aujourd’hui, je pense que nous y serons dans la matinée.

                -Je vois. Vous sentez-vous capables de marcher encore quelques heures ?

                -Je n’ai pas envie de me coucher, répondit Lena, mais je ne pense pas que Lyov et sa jambe puissent continuer.

                -Nous n’avons pourtant pas marcher longtemps, protesta l’Anglais.

                -Je pense, intervint Agathe, que nous avons été secoués par les derniers évènements et c’est cela qui nous a fatigué. Nous ferions mieux de camper ici. Mais rien ne nous empêche de veiller un peu si tu le souhaites, Lena.

                -Soit, accorda Livingstone. Nous repartirons demain matin aux aurores.

                Comme le silence était revenu, plus lourd qu’auparavant, Lyov décida de le briser en engageant la conversation. Jusqu’à présent, ils avaient surtout parlé de leurs familles respectives mais ils devaient se changer les idées. Le Russe raconta donc les quelques voyages qu’il avait effectués au cours de sa vie, et ceux qu’il aimerait faire. George, puis Agathe et Lena l’imitèrent, si bien que le groupe retrouva une partie de sa bonne humeur.


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  • Bonsoir-bonsoir !

    Je vous présente aujourd'hui un nouvel article dans la rubrique "textes divers". Il s'agit d'un court récit (vraiment très court, je ne suis pas certaine que le nom de récit convienne) que j'ai imaginé à partir de mon tableau préféré (pour le voir, cliquez ici !).

    Je me suis beaucoup amusée en le rédigeant, j'y ai glissé pas mal de citations de poèmes plus ou moins célèbres de poètes tous célèbres. Serez-vous capables de toutes les retrouver ? Le défi est lancé !

    Bonne lecture !


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  • La Liseuse, Pierre Auguste Renoir, 1874, Musée d'Orsay, Paris

    Ce texte commence comme une ekphrasis (c'est-à-dire la description littéraire d'un tableau, je vous laisse deviner lequel !) et se poursuit comme un petit récit sur ce que m'a inspiré cette jeune femme. Je me suis placée du point de vue d'un observateur masculin, le peintre sans doute, ou en tout cas un artiste.

    Les plus littéraires d'entre vous remarqueront sans doute les citations de poèmes que j'ai repris à mon compte dans ce petit (très petit) récit. N'hésitez pas à me faire part dans les commentaires de ce que vous pensez être des citations, je vous dirais si vous avez vu juste !

    Lire la suite...


    2 commentaires
  • Bien le bonsoir !

    Comme vous pouvez le voir, le design du blog a changé ! Qu'en pensez-vous ? C'est mieux qu'avant, hein ? Heureusement que j'ai des cousins géniaux (Merci à vous deux ! ^^) parce que j'aurais jamais réussi à faire ça sans eux !

    Quant à JtlP, deux nouveaux chapitres sont en ligne ! Reportez-vous dans le menu à droite pour les liens, j'ai pas vraiment le temps de les insérer dans cet article, désolée !

    Voilà, en vous souhaitant une bonne lecture ! ;-)


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  •             Debout les bras croisés dans un recoin discret près de l’entrée, Avignant regardait les spectateurs rejoindre leur véhicule, emportant avec eux leurs souvenirs de la pièce. Guillaume avait honte. En dix-sept ans de carrière c’était la première fois qu’il avait un aussi gros trou de mémoire sur scène. Le plus terrible, c’est que Thomas Robson lui avait soufflé son texte et qu’il avait été incapable de lire sur les lèvres. Les spectateurs l’avaient encouragé par des applaudissements mais rien n’y avait fait, il ne parvenait pas à se souvenir de sa réplique. Thomas avait du parler à sa place.

                -Vous allez sans doute me demander pourquoi je ne suis pas venu vous saluer alors que je savais que nous logions dans le même hôtel ? avait-il dit.

                -C’est exact, avait piteusement répondu Guillaume.

                La longue tirade de Thomas qui avait suivit avait permis à Guillaume de reprendre ses esprits et de terminer la pièce sans difficulté apparente mais il s’en voulait encore énormément.

                -Ne me dit pas que tu rumines toujours ce qu’il s’est passé ? le sermonna amicalement Thomas en le rejoignant à l’extérieur du théâtre. Tu sais, ce n’est pas grave, ça arrive à tout le monde.

                -Je sais, soupira Avignant. Ce n’est pas la première fois que j’oublie mon texte mais d’ordinaire je finis toujours par m’en rappeler.

                -Alors, selon toi, qu’est-ce qui a fait que cette fois était différente des autres ?

                D’habitude, la femme que j’aime n’est pas en train de se battre pour rester en vie en Corée du Nord, pensa-t-il. Il se garda cependant de le dire à voix haute car Agathe lui faisait confiance, elle lui avait demandé de ne parler à personne de cette expédition et, malheureusement, son meilleur ami ne faisait pas exception.

                -Guy ? l’appela Thomas, le sortant de sa rêverie. C’est moi ou tu me caches quelque chose ?

                -Tu me connais trop bien, sourit Guillaume. Mais je ne peux pas t’en parler, je suis désolé.

                -Ne le sois pas, je suis un grand garçon, je peux comprendre, lui assura son ami. Si tu souhaites m’en parler plus tard, je suis là. Allez, inutile de rester ici. Rentre chez toi.

                -Tu as raison. A demain ! le salua-t-il.

                Guillaume s’éloigna en direction de sa motocyclette. Il ne prenait plus sa voiture depuis le départ d’Agathe car elle lui rappelait leurs adieux et il voulait à tout prix ne pas y penser. En mettant la main dans la poche de son blouson à la recherche de ses clés, Guillaume toucha un papier. Il le sortit et le regarda même s’il l’avait déjà identifié. Il s’agissait de la feuille sur laquelle Agathe lui avait expliqué qu’elle ne pouvait accepter le cadeau de Noël qu’il lui avait offert. En découvrant cela, lorsqu’il avait quitté la résidence des Lantier, Guillaume avait décidé de se rendre chez Agathe afin de mieux comprendre ce refus. C’est ainsi qu’il se retrouva en compagnie de Chantilly, devant la porte du studio de la journaliste, un 1er janvier.

                Il sonna. A ses côtés, Chantilly ne tenait pas en place. Elle aimait découvrir des endroits où elle n’était jamais allée, et l’appartement de la jeune femme n’échappait pas à cette règle. A peine la porte fut-elle ouverte que le caniche s’était déjà précipité à l’intérieur, arrachant un cri de surprise à Agathe. En reconnaissant Guillaume, elle identifia immédiatement la boule de poils qui faisait le tour du studio en courant. Elle se détendit légèrement mais le comédien sentait qu’elle n’était pas vraiment heureuse de le voir.

                -Je te dérange ? lui demanda-t-il en utilisant, enfin, le tutoiement.

                -Non, pas du tout, je lisais. Entre, l’invita-t-elle.

                -Merci. Chantilly, assis ! ordonna-t-il à son chien.

                -Laisse, ce n’est pas grave. Donne-moi ton blouson.

                Il lui tendit sa veste et elle l’accrocha au portemanteau. Après avoir fusillé du regard Chantilly, qui venait de sauté sur le canapé-lit, Guillaume se décida à entrer dans le vif du sujet :

                -Tu es partie très vite hier soir, tu étais pressée ?

                -Oui, affirma-t-elle en le conviant à s’asseoir, le chauffeur de mon taxi m’a appelé pour me dire qu’il était garé dehors, alors je n’ai pas voulu le faire attendre. J’espère que Henry ne l’a pas trop mal pris. Veux-tu boire quelque chose ?

                -Un verre d’eau, s’il te plaît.

                Elle mentait, Guillaume en était certain. Si elle s’était enfuie, c’était sans doute qu’elle voulait éviter de devoir se justifier à propos du cadeau refusé, raison pour laquelle elle n’est pas contente de me voir aujourd’hui, conclut-il. Il avisa le livre posé sur la table et commenta :

                -Emile Zola. C’est intéressant ?

                -Non, mais je n’avais encore jamais lu Germinal, expliqua-t-elle. Mieux vaut tard que jamais.

                Elle déposa deux verres d’eau sur la table. Lentement, Guillaume en avala une gorgée.

                -Oui, c’est vrai, confirma-t-il. D’ailleurs, je te remercie pour le livre. J’en ai commencé la lecture ce matin.

                -L’histoire de France est autrement plus intéressante que Zola, tenta Agathe.

                Guillaume comprit sans mal qu’elle souhaitait éviter de parler du bracelet mais il était décidé à en venir aux faits.

                -Et mon cadeau, il ne te plaisait pas ? lança-t-il finalement.

                -Je croyais que ma petite lettre était claire, se désola Agathe en soupirant. Je ne peux pas accepter ce bijou, je pensais que tu comprendrais.

                -Dis plutôt que tu n’en veux pas, se moqua-t-il. Il ne te plaît pas ?

                -Bien sûr que si, là n’est pas la question, seulement, peux-tu me dire combien tu as déboursé pour ce bracelet ?

                Guillaume ne répondit pas de suite. Il sortit de sa poche la petite boîte contenant le bijou, la regarda un instant, puis la posa sur la table, bien en face d’Agathe.

                -Le prix ? C’est la seule chose qui t’embête ? Et c’est pour cela que tu refuses ce bracelet ? Alors, d’une part, un cadeau, ça ne se refuse pas, d’autre part, tu n’es pas censée connaître le prix de ce qui t’est offert et enfin, si c’est cela qui t’inquiète, je ne m’attends pas à ce que tu me fasse un cadeau de même valeur et pour cause : tu n’es pas censée en connaître le prix.

                Cette dernière remarque arracha un sourire à la jeune femme. Guillaume en fut ravi. Il fit un signe à son chien, qui se prélassait toujours sur le clic-clac de la journaliste, afin que celui-ci s’approche. Il le prit dans ses bras et l’installa sur ses genoux de telle façon que le caniche se retrouva assis, les pattes avant posées sur la table, dans une posture très humaine. Pour conclure sa petite tirade, Guillaume ajouta :

                -Maintenant, si tu ne veux toujours pas accepter le bracelet, je peux toujours essayer d’en faire un collier pour Chantilly, elle en sera enchantée.

                Comme pour appuyer les dires de son maître, la petite chienne émit un aboiement joyeux, accentuant le comique de la scène. Cela fit rire Agathe. Chantilly en profita pour sauter à terre et s’asseoir à son côté, en la fixant de ses grands yeux noirs. Guillaume choisit cet instant pour exposer son dernier argument :

                -Ne sois pas jalouse Chantilly mais, je pense qu’il ira beaucoup mieux à Agathe.

                Loin de se vexer, le caniche monta sur les genoux de la journaliste et lui lécha le visage. En riant toujours, cette dernière écarta d’une main le museau baveux du chien et s’adressa à Guillaume :

                -Merci.

                -Mais je t’en prie, répondit celui-ci en posant ses coudes sur la table et son menton dans ses mains. Bon, tu l’ouvres ?

                Il rit à son tour, heureux qu’Agathe accepte le cadeau. Celle-ci, prit délicatement le paquet, retira l’emballage dorée et ouvrit la boîte.

                -Il est vraiment magnifique, murmura-t-elle en contemplant le bracelet.

                Guillaume sourit. Agathe ferma le bijou autour de son poignet droit. Elle se leva car Chantilly s’était déjà précipitée sur le sol, et vint déposer un baiser sur la joue de l’acteur qui ferma les yeux avec bonheur. Un aboiement sonore mit fin au contact des lèvres de la jeune femme sur la peau de Guillaume.

                -Je ne t’ai pas oublié, Chantilly, la rassura Agathe, j’ai un petit quelque chose pour toi.

                La journaliste se dirigea vers son bureau. Comme si elle avait compris, Chantilly la suivit. Agathe mit la main sur un objet marron, long comme une main. Un petit nœud rouge avait été accroché autour. Guillaume reconnut une friandise pour chien de la forme d’un os. Agathe l’agita au-dessus du caniche qui se dressa sur ses pattes arrière pour tenter de la saisir.

                -Joyeux Noël, lui dit Agathe en faisant tomber l’os dans la gueule du chien.

                Aussitôt, celui-ci tourna les talons et se précipita sur le canapé pour le dévorer.

                -Chantilly ? demanda Guillaume.

                -Ouarf ! répondit l’intéressée.

                -C’est ça, confirma-t-il, on dit merci !

                Agathe et Guillaume éclatèrent de rire.


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